C'était un volume d'une folle audace et d'une rare perfection. Chaque hiéroglyphe était ciselé comme un bijou porté par une reine de Kemet. On racontait qu'on l'avait trouvé dans une tombe creusée dans une falaise surplombant la Vallée du Nil, un lieu qui donnait une impression d'irréalité tant il semblait à l'abri des ombres et de la lumière.
Pour ne pas troubler le lecteur d'aujourd'hui, nous utiliserons le mot Livre. Il avait bénéficié au fil du temps de conditions particulièrement favorables et bien adaptées à la conservation d'un objet aussi précieux.
Avant de tourner les feuillets, il fallait se laver les mains, mettre des gants, fermer portes et fenêtres. Sa structure était loin d'être évidente, on ne savait trop par quel bout le prendre et à quel moment il fallait l'ouvrir ou le fermer. Un léger contretemps pouvait effacer toutes les données consignées par des scribes méticuleux et d'une érudition sans faille.
Les chercheurs étaient déroutés tant qu'ils n'avaient pas compris qu'ils devaient lire entre les lignes et ne pas prendre au pied de la lettre ce qui semblait le plus invraisemblable.
Une vie n'aurait pas suffi à un seul scribe pour rédiger ce que nous appellerons des chroniques instantanées mêlant un ésotérisme féroce à de déconcertantes facilités de style. Un régal pour ceux qui se complaisent dans les décrochements de sens, un casse-tête pour les tenants d'une logique rigoureuse. Un rédacteur avait œuvré pour rendre les traductions impossibles. Il avait bloqué toutes les issues, torturé les règles grammaticales, détourné le sens des mots, déformé les hiéroglyphes au point que l'établissement d'un nouveau lexique était requis à chaque lecture.
Une seule image dans cet océan de mot, celle de Sechet, une divinité qui avait donné une forme aux hiéroglyphes en observant les empreintes de pattes d'oiseaux sur le sable mouillé. Il ne fallait pas compter sur elle pour éclaircir les choses car elle était la parèdre de Thot, un dieu-oiseau habile à faire s'effondrer les niveaux de compréhension les uns sur les autres.
Dans les années qui avaient suivi la disparition du roi Akhnaton le livre changea plusieurs fois de cachette pour finalement revenir à Tuna el Gabal, une nécropole singulière établie sur la rive ouest en face de la cité d'Aket-Aton.
Les savants mythographes d'Alexandrie lancèrent plusieurs expéditions en Haute Egypte pour le retrouver. Ils n'en trouvèrent que des bribes gravées sur les murs de la tombe de Pétosiris qui fut supérieur du clergé d'Hermopolis Magna. Il ne portait pas le titre de Premier Prophète mais de Gardien des signes qui s'estompent dès que le scribe lève son calame.
Dans une de ses Propositions, Pic de la Mirandole avoue qu'il a réussi à établir une proximité avec le Livre sans toutefois pouvoir vraiment y pénétrer.
Taraudé par une vaine recherche, je décidai une nuit d'affirmer que ce Livre n'avait jamais existé. Je reçus au matin un message me disant que quand on ne sait rien, on ferme sa gueule. Une étoile à 7 branches signait ce message, ce qui ne laissait aucun doute sur sa provenance.
J'étais sur le point de défaillir quand je compris que le Livre était éparpillé dans les principaux Traités de base de la science alchimique. Il faudrait des années pour vérifier cette information. Je fermai les yeux et la bouche : en close bouche n'entre mouche. Mes étagères étaient remplies de fantômes.
Comments