Le temple est assez loin de chez moi.
J'étais étonné de la convocation du Premier Prophète car j'avais quitté la prêtrise depuis longtemps pour reprendre mon métier de scribe de village.
Lettres aux défunts, supplique pour un notable, parfois une copie du Livre des Morts ou d'un texte ancien, activité routinière mais qui aurait dû me laisser l'esprit en repos.
Les deniers mois au temple avaient été éprouvants. Je supportais mal la vie communautaire et la présence envahissante du dieu.
Loin de lui, je me sentais plus libre sans avoir à répondre à ses énigmes ou à me plier à sa volonté.
Cependant, un sentiment d'inaccompli me hantait car j'avais laissé quelque chose en suspens, j'étais en fuite et ce n'était sans doute pas la bonne solution.
Dans mes rêves récurrents, je déambulais dans le temple en compagnie d'une présence insolite, crépusculaire, transparente.
Elle marmonnait des phrases que je n'arrivais pas à comprendre. Mortifié, je cherchai à me cacher derrière une colonne.
Je rencontrai un ancien collègue. Il me donna des nouvelles du temple que je ne lui demandais pas en précisant que personne n'avait compris ma défection. En s'éloignant, il me lança un A bientôt qui me fit sursauter.
Je rentrai chez moi et verrouillai la porte car j'avais l'impression d'avoir été suivi.
Assis dans le noir, je tentai de me persuader que rien ne m'obligeait à répondre à l'invitation reçue.
J'allumai une lampe, grignotai des friandises, tout allait bien. Je n'avais aucune raison de m'inquiéter mais au matin, n'ayant pas fermé l'œil, je pris le chemin du temple.
Le pontife me reçut avec aménité, me serra dans ses bras.
En m'offrant une coupe de vin des îles de la Grande Verte, il déclara :
- Ta graphie est excellente. Dommage que tu en uses pour écrire des choses sans importance, des niaiseries.
Le netjer a besoin de ton calame, de la souplesse de ton poignet, de ton sens de l'équilibre des signes, peut-être de ton intelligence.
- Tu disposes d'une armée de scribes travaillant aussi bien que moi.
- Tu es un homme sans ambition qui gaspille ses talents et méprise le netjer.
- Non, je ne le méprise pas, j'en ai peur.
Il éclata de rire et poursuivit :
- Je n'ai jamais rien entendu d'aussi stupide, tu n'as rien compris. Quand tu es parti, le netjer t'a suivi et depuis nous vivons dans un temple vide. Il habite chez toi et t'observe quand tu écris. Il essaye de te parler dans tes rêves mais tu fais semblant de ne rien comprendre. Je t'assure, tu serais beaucoup plus tranquille ici et tout rentrerait dans l'ordre.
Plus troublé que je ne voulais le laisser paraître, je me levai et lui demandai quelques jours de réflexion.
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