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Des glissements complices

Dès que je l'ai rencontré, j'ai voulu en faire un personnage de mes fictions égyptiennes. Il était parfait dans le contexte d'une Égypte virtuelle où tout n'arrive pas en accord avec la loi mais plutôt selon les aléas de hasards entrelacés.


Cela dit, il avait la bonne couleur de peau, aimait la bière, la compagnie des filles traînant dans les tavernes. Pourtant, je ne voulais pas qu'il tienne seulement d'une réalité littéraire. Je le voulais en chair et en os telle une petite momie replète et confortable faisant la sieste dans une tombe bien aménagée.


Comme moi, il aime les falaises, les plateaux, les reliefs dominant de vastes paysage. Nous marchons pendant des heures attendant d'être happés par le vertige, par l'illusion que Kemet existe vraiment même si elle ne ressemble plus à rien de ce que nous connaissons. Il prétend que Kemet est d'une beauté sobre et reposante. Je suis du même avis mais en plus, je la trouve émouvante et susceptible d'avoir une influence sur mes humeurs. Le Double Pays n'est pas seulement un lieu mais aussi un état. Mon personnage parle d'une matière poudreuse déposée sur un seuil où viennent se reposer les Esprits des champs et ceux qui œuvrent dans les racines des arbres et des plantes.


Peu a peu, il a réussi à me persuader que c'était moi le personnage imaginaire, le protagoniste d'une autofiction partant dans tous les sens parce que le pilote était tombé dans le fleuve sous le règne de Djédefrê. Il se planque parfois derrière un hiéroglyphe trilitère et fait semblant de me reconnaître. Pour l'occuper, je l'introduis alors dans une intrigue à rebondissements narrant les aventures d'un homme se faisant passer pour un autre, portant un masque, écrivant en écriture rétrograde.



Avec le temps, il devint de plus en plus autoritaire et m'imposa sa vision très personnelle de l'Égypte. Je ne reconnaissais rien. Il m'introduisit dans une contrée que les scribes des contours redessinaient à chaque début de règne. Je n'arrivais plus à suivre, je n'acceptais pas que l'on fixe des limites à mes vagabondages inspirés. Je voulais toucher Akhnaton même si je savais que c'était un sacrilège. Parfois, je me persuadais que le souverain d'Akhet-Aton n'avait jamais existé, parfois, je déjeunais avec la reine et les princesses. C'était nettement plus reposant que de charrier des pierres sur un chantier de pyramides.


Il essaya de m'acculer dans un recoin dissimulé du palais de Malgata. C'en était trop, je l'entrainai dans un bosquet et le clouai sur le tronc d'un acacia vénérable.

Le lendemain, le corps avait disparu. Je vais en profiter pour me jeter dans les aventures de celui qui me ressemble comme un frère.

Autour de nous voletaient des présences que nous ne voyions pas, se dessinaient des royaumes dont nous ne connaitrions jamais le nom.

Quand nous serons passés sur l'autre versant de l'Horizon Akhet, nous aurons bien des surprises et connaitrons bien d'autres glissements.

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