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Dans les jardins du palais de Malqatta

Amenhotep Fils de Hapou aimait se promener dans les jardins du palais à l'heure où tombe la rosée. La lumière de l'Egypte n'est jamais aussi douce que pendant ces quelques instants. Le monde est encore en attente, un miracle reste possible.

L'esprit vide, il marchait pour oublier les sautes d'humeur de Sa Majesté, les arrière-pensées de la reine, les intrigues des prêtres, la gestion délicate des Shemsou Hor, la mesquinerie des courtisans, les exigences légitimes des bâtisseurs et les menaces que les étrangers faisaient planer sur le Double Royaume.


Comme il s'engageait dans une allée qui le ramènerait chez lui, il aperçut le prince Amenhotep qui venait à sa rencontre.

Comme à son ordinaire, le garçon avait un air soucieux et triste. Houy le trouvait trop solitaire. Il ne fréquentait pas les enfants de son âge, voyait rarement ses parents, ne semblait pas avoir d'amis. Il restait des jours entiers dans ses appartements, méditait, lisait, paraissait toujours à la recherche d'autre chose.



- Tu es bien matinal, Imy - diminutif affectueux d'Amenhotep -. Tu es tombé du lit ?

- Oui maître, j'ai fait de mauvais rêves, je n'arrivais plus à dormir.

Je savais que je te trouverais dans le jardin.

- Tu a l'air bien soucieux, qu'est-ce qui te préoccupe. ?

- Le monde m'effraie, il ne correspond pas à mes désirs.

- Ce n'est pas au monde à s'adapter à toi mais le contraire.

- Non, je voudrais vivre dans un monde dans lequel on peut se sentir aimé.

- On ne peut être aimé de tous. Ta position privilégiée peut susciter des jalousies. En tout cas, moi je t'aime et je veux que tu sois heureux.

- Je le sais Houy, tu es sans doute le seul qui m'aime pour ce que je suis. Avec toi, je n'ai pas peur. Je voudrais rester toujours auprès de toi.


Cet homme et ce garçon marchant dans un jardin étaient les acteurs d'un moment clef de l'histoire de Kemet. Après eux, plus rien ne serait pareil mais rien ne serait facile. Houy savait que son élève allait provoquer des bouleversements mais il était encore trop tôt pour le lui dire.


- Si ce monde ne te convient pas, il va falloir te construire un autre modèle, ce dont tu es capable je le sais.

- Ce modèle dispenserait-il le monde actuel d'exister tel qu'il est avec ses imperfections, ses injustices, ses peurs, ses superstitions ?

- Souviens-toi d'une chose importante. Il faut améliorer le monde mais ne pas le détruire, partir de ce qui existe et le perfectionner, le rendre nefer neferou.

- Pour cela, il faudrait repartir à zéro sur un territoire vierge de toute influence anciennese et le borner avec des stèles frontières.

- Des stèles frontières ?

- Oui, sur lesquelles j'inscrirai mon programme, ma volonté d'établir de nouvelles règles.

- Méfie-toi des règles, elles peuvent rapidement engendrer des limitations et susciter des rejets. Si tu imposes trop brusquement ta volonté, tu vas rencontrer de multiples oppositions.

- Tu seras avec moi pour m'aider dans cette entreprise. Grâce à toi, je sais que rien de mauvais ne peut m'arriver.

- Imy, nous n'avons pas le même âge, je ne serais pas avec toi jusqu'au bout.

- Je vois, tu me décourages, tu penses que mon monde est une utopie, que je devrais me contenter de régner comme mon père dans la quiétude et sans prétendre faire bouger les lignes. Je suis inconsolable.


Houy était envahi par la tristesse, il s'arrêta et serra le prince contre sa poitrine. Ce garçon était l'enfant de son cœur, le fils qu'il aurait aimé avoir si le sujet de la paternité s'était imposé à lui. Il avait bien compris ce qu'il voulait et s'en sentait responsable. Qu'allait-il devoir faire pour ne pas le décevoir, pour qu'il ne provoque pas une révolution dans le Double Royaume ? Mais peut-être avait-il raison ? Une ère nouvelle devait s'ouvrir mais elle serait accompagnée de souffrances que Houy ne pouvait accepter.

La tête blottie contre son épaule, Imy sanglotait.

1 Comment


francoise.doux
francoise.doux
Oct 08, 2021

un beau texte, dans lequel je retrouve l'émotion que tu nous avais si bien communiquée à Tel-El-Amarna, ou celle que nous avions partagée en lisant le texte du Fils de Hapou, dans une salle basse, d'un temple que j'ai oublié. Merci René. Oupouaout.

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