René Aor Schwaller de Lubicz, qui n'est pas un plaisantin, dit que pour arriver au plus vite dans le laboratoire alchimique de Karnak, il faut emprunter la petite poterne creusée à l'orient dans le mur d'enceinte en briques crues.
Au mois de juillet, en Haute Egypte, le soleil est impitoyable, aussi je me présentai sur le site dès l'ouverture. Je voulais depuis longtemps repérer ce fameux laboratoire, j'avais déjà fait plusieurs essais malchanceux. Cette fois, c'était décidé, je ne repartirais pas sans l'avoir vu de mes yeux.
Comme je suis d'un naturel optimiste, j'avais organisé ainsi ma journée : crapahutage sur le site jusqu'à midi, exploration sommaire du laboratoire pendant deux heures. Il serait alors temps de prendre une collation dans un des estancots qui sont installés près de l'esplanade d'entrée. Au menu, des falafels croustillants à l'extérieur, moelleux à l'intérieur et pas gras du tout. Un must.
Ensuite je retrouverais chez lui un ami copte qui habitait à quelques encablures du temple dans une maison fraîche et pimpante. Il était prévu de vider quelques pintes de la bière locale, la fameuse Stella agrémentée de rasades de Whisky, de cigarettes puis d'une bonne chicha. Avant de nous lancer dans d'interminables parties de dominos, pour nous mettre en jambes, nous entonnerions quelques refrains lestes sur l'air bien connu des Luxoriens, Fatma enlève ta galabeya.
Enfin, à la nuit tombée, nous rejoindrions un restaurant en terrasse spécialisé dans des pizzas lestées d'une quantité étourdissante de calories que le chef, un Soudanais qui prétendait avoir travaillé en Italie, faisait cuire à la poêle dans un bain d'huile recyclée.
Mais on sait bien qu'en Egypte, rien ne se déroule comme prévu. Je n'étais pas au bout de mes surprises.
J'avais vaguement compris que ce que je cherchais se trouvait dans la partie sud-est du site.
Allez savoir pourquoi, je me dirigeai immédiatement au nord car je nourrissais quelques doutes sur les indications de monsieur de Lubicz dont le style touffu est loin d'être explicite. Je quittai l'axe central déjà envahi par les touristes et traversai d'un bon pas la salle hypostyle. Pour me faire bien voir, j'adressai des arétologies aux dieux enroulés sur les colonnes et m'arrêtai devant Thot jouant avec sa clepsydre.
Je me demandai si, au fond, cette salle n'était pas le laboratoire. Non, ce n'était pas possible, trop simple et sans aucun fondement ! Il y a bien ici des traces d'alchimie mais rien ne parle de Feux, d'athanors, de coctions, de tout ce qui fait le charme d'un laboratoire.
Un gardien que je connaissais s'approcha pour tailler un bout de gras et m'offrir un verre de thé bien sucré comme je l'aime. Il y aurait un livre à écrire sur les gardiens de temples qui ne mesurent pas leur chance de passer une partie de leur vie sur ces lieux sacrés. Ils sont parfois un peu collants mais généralement très attachants et affectueux.
Il me demanda ce que je cherchais aujourd'hui. Rien de particulier lui répondis-je, ce qui était idiot car il connaissait peut-être l'emplacement du laboratoire, encore que je doute que ce mot ait pu évoquer quelque chose pour lui.
J'errai un moment dans le Musée en plein air où je n'avais rien à faire si ce n'est chercher encore et encore des indices. Après tout, la quête alchimique n'est rien d'autre qu'une incessante collecte d'indices qui souvent ne mènent à rien.
Tout ceci tournait dans ma tête et comme j'étais déjà un peu las, je fus tenté de vider les lieux et de sortir de ce labyrinthe pour aller fureter dans les souks.
Mais cette idée me fit honte car elle risquait de me faire passer pour pusillanime. Je repris donc mes recherches en imaginant que je toucherais bientôt au but.
Je me dirigeai vers le sud là où se trouve ce petit temple d'Ousir avec ses 9 portes sculptées qui sont un des passages menant vers Abydos. Si vous ne le connaissez pas, je vous le conseille, vous ne serez pas déçus et ça vous évitera un long pèlerinage vers la ville sainte du dieu. Dans Karnak, c'était un des postes de garde des Shemsou Hor qui ont laissé ici une signature sous la forme de leur bijou d'ordre, une genette courant sur la lame d'un couteau.
A l'intérieur, dans une petite cour, était assise sur une natte une vieille dame aux cheveux blancs nuancés de bleu. Très élégante, on l'aurait plutôt vue dans un salon de thé de l'avenue Louise à Bruxelles. Elle semblait plongée dans une profonde méditation mais quand je passai devant elle, elle m'apostropha :
Seriez-vous un dévot d'Aset et d'Ousir pour connaître ce lieu singulier ?
Je n'osai lui dire le contraire de peur de la décevoir et m'excusai d'avoir troublé sa quiétude.
Elle poursuivit :
Je vois que vous n'avez toujours pas trouvé ce que vous cherchez aujourd'hui. Vous êtes trop polarisé par votre enquête. On ne trouve pas ce qui a fini par vous obséder au point de ne laisser aucune place au hasard.
Je restai abasourdi et finis par lui avouer qu'elle avait mis le doigt sur le problème. Avait-elle une solution à me proposer ?
Oui dit-elle, lâchez du lest, sortez d'ici où vous n'avez rien à faire aujourd'hui et laissez-vous guider par votre intuition.
Là-dessus, elle replongea dans sa méditation et je vidai les lieux au plus vite. J'ai toujours redouté les femmes qui vous percent à jour aussi facilement.
L'après-midi était déjà bien avancé, la chaleur devenait suffocante, j'avais un peu mal à la tête, la bouche sèche et j'étais au bord du découragement. Au fond était-il si important de trouver ce laboratoire qui n'existait peut-être que dans l'imagination de l'auteur du Temple de l'Homme ? J'avais plus confiance dans son épouse Isha qui, elle, ne parla jamais de ce lieu où l'on concocte soi-disant des quintessences.
Perdu dans ces sombres pensées, je ne vis pas un étroit fossé creusé par les archéologues et je m'étalai de tout mon long dans la poussière et les cailloux. Je me relevai péniblement et constatai alors que la petite lanière de mes tongs qui passe entre les doigts de pieds s'était rompue. J'en étais réduit à continuer en boitillant, ce qui est une bonne chose du point de vue initiatique mais une catastrophe en ce qui concerne le confort de la marche.
J'étais au niveau de la cafétéria située près du lac sacré au-dessus duquel tournait un nuage d'oiseaux migrateurs. Je n'avais même plus la force de voir là un signe favorable. A vrai dire, je n'arrivai même plus à penser quoi que ce soit. J'enfilai coup sur coup plusieurs sodas glacés pendant que le serveur s'employait à réparer ma chaussure avec des moyens de fortune.
La seule idée de me relever me donnait le tournis et je décidai d'abandonner, de regagner au plus vite la sortie. Il était 16h45 et le site allait bientôt fermer. Les destins aujourd'hui ne trouveraient pas leur voie.
Après avoir dépassé l'axe nord-sud du temple et son enfilade de pylônes en ruines, je ne sais pourquoi, au lieu de continuer vers l'ouest et la sortie, j'obliquai vers le sud et, dix minutes plus tard, je franchissais le seuil du laboratoire alchimique.
Je remerciai Djéhouty qui, sur une paroi, me fit un clin d'œil et je me promis de revenir le lendemain matin pour décortiquer tous les indices qui fourmillaient ici.
C'est alors que dans le lointain j'aperçus le mur d'enceinte et la petite poterne qu'empruntaient les Enfants de l'Art pour venir allumer les athanors quand les circonstances étaient favorables.
Oserai-je ?
Nous pouvons admettre que l’EGYPTE, sur des sites particuliers, est un musée en plein air qui, à tous les étages de ses démonstrations, stimule les intérêts de l’archéologie et de l’égyptologie.
Leurs investigations au moyen des technologies les plus avancées pour les uns et leurs découvertes, ouvrent pour les autres des champs d’interprétations servant d’axiomes pour aller à la recherche de ce qui pourrait bien être l’Histoire de notre Civilisation.
L’exposition intitulé : ARCHEOLOGIA INVISIBILE, du Musée d’égyptologie à Turin, démontre les moyens d’investigations actuellement mise en œuvre et l’immense intérêt que vouent les institutions archéologiques du monde entier pour ce site préservé, par des conditions climatiques extraordinaires, à sa conservation.
Nous ne sommes plus hier, nous sommes…