D'un voyage sur l'autre en Egypte mes repères se déplacent. A peine débarqué, je me demande si j'aurai le courage de revenir. Je ne quitte pas un monde pour un autre, je tente d'opérer une fusion.
Cette planète me convient - je parle de Kemet - dans la mesure où je reconnais tout au quart de tour tout en mesurant que des pans entiers restent dans l'ombre. Si lointains qu'il faudra circumambuler encore très longtemps.
Dans la tombe d'Akhnaton à Amarna, j'ai accepté de suite le décalage, j'ai espéré devenir un composant minéral. Ce n'est pas le roi que je cherchais mais les émotions que, depuis si longtemps, il fait monter en moi.
Dans cette syringe, on devient ouab- pur. Une pureté comprise comme un dépouillement des superfluités infâmantes.
J'entendais des murmures, des gémissements mais aussi de petits cris d'allégresse, des soupirs de soulagement. De minuscules liens cédaient les uns après les autres pour laisser de plus en plus de place au Vide.
Dans le ventre du désert, la tombe glisse dans une atmosphère de fin de règne d'une mélancolie si puissante qu'elle repousse les désespoirs et les regrets.
Nul besoin de parler, de justifier sa présence. La demeure d'éternité du roi vous laisse entendre que l'éternité n'existe pas. On se moque de l'éternité quand on est devenu minéral, non pas au fond mais au bord d'une série d'abîmes.
ITN-ATON n'est ni Râ ni le Soleil Noir mais une autre forme de lumière, suspendue entre deux horizons. Une lumière de cette nature est présente dans la tombe. Il est pratiquement impossible d'échapper à son magnétisme ou alors au prix d'une douloureuse remontée vers ce que nous ne voulons plus être. La transgression n'a jamais été aussi nécessaire : désobéissance sociale, obéissance rituelle, coupures en continu, dérèglements maîtrisés, contournement des pièges de la mémoire pour laisser aux prédateurs le temps de mourir en beauté.
Le premier mot qui vient à l'esprit dans cette tombe est bien sûr Athanor, soit un état que la mort n'a pas réussi à investir. Personne n'a pourri dans ce sépulcre qui est plutôt un cénotaphe. Les corps des défunts de la famille amarnienne sont à l'abri des profanateurs dans une tombe secrète toute proche mais à des années-lumière de notre entendement. Le roi lui-même s'est échappé dans les volutes de l'encens lors de son rituel funéraire. Un mort parfumé, un défunt impeccable, une créature désynchronisée.
Akhnaton nage à contresens. C'est un hérétique, un homme qui a choisi délibérément de briser ses entraves, de vivre, de penser autrement, d'aller et venir de part et d'autre de l'Horizon-Akhet. La traversée des apparences, des illusions, l'acceptation des zones d'ombre dans une lumière si intense que l'or soudain se change en limon.
Dans le désert, pas de limon mais du sable qui libère de la pesanteur les corps qu'on lui confie.
Rien ne stagne dans la tombe du Soleil-roi. Les désirs, les arrangements avec les fantômes sont en suspension.
Assis dans la chambre funéraire en compagnie des images disparues, je me disais : Je suis revenu et je n'ai jamais été aussi bien, rien de plus achevé n'existe sur cette planète.
Comments