Un prêtre de Khemenou-Hermopolis me parla pour la première fois de ces lieux où s'exerce un contre-pouvoir. Les seuls peut-être où on peut entrer en contact avec ce qui est le plus proche de la divinité.
On ne fait pas ici de différences, de classifications, on ose à peine formuler des hypothèses, des mues étranges se produisent, le cours des fleuves se modifie car des tonnes de sable se déversent chaque jour dans leurs eaux. Tout est laissé dans l'ombre, ne se reflète que dans les yeux verts et pâles des chats qui ne sont prisonniers d'aucun système de croyances.
Ce serait une erreur de croire que les téménos consacrés à Seth sont des lieux de contre-pouvoir. Seth enfreint la règle quand elle est devenue obsolète ou qu'on refuse de prendre en compte les confins les plus troubles du mental. Les prêtres de Seth n'ont pas les oreilles coupées comme leur maître, ce qui les rendrait trop facilement reconnaissables. Ils parlent pour ne rien dire et se taisent quand les perturbations s'approchent de trop près.
Les lames de fond se préparent dans le contre-pouvoir qui peut siéger dans le granit ou dans la plume d'un oiseau. Si tous les arbres d'un bosquet dépérissent en même temps, c'est l'indice de l'irruption d'un contre-pouvoir puissant et déterminé, habile à détourner l'attention, à faire échouer les expériences.
Ceux qui usent de ce pouvoir ne tombent pas dans les pièges des idées sclérosées, des opinions figées, des acharnements suicidaires. J'étais bien décidé à accomplir ma petite tâche de scribe pour demeurer sous la fascination de certains signes fonctionnant selon les lois de déviances calculées. Des signes non identifiables par les traducteurs d'aujourd'hui. Origine inconnue parce qu'en provenance extra-sensorielle là où s'affrontent le dynamique et le statique.

Le prêtre de Khemenou était un vieux renard qui excellait à orienter et à canaliser ses pensées, ses pulsions, l'énergie qu'il faisait monter des profondeurs pour irriguer sa mémoire et celle de ses proches. Nous savons tout, disait-il, nous avons tout oublié, il est temps de nous ressouvenir afin d'escalader les barrières, de contourner les obstacles, d'éviter que les étoiles ne se détachent du ciel pour tomber dans l'océan des déterminismes.
C'était un esprit subversif, un chercheur de méta-croyances, un jargonneur de nature amonienne, impertinent envers les dieux et les génies autochtones de Khemenou prompts à semer le doute sur les démarches spirituelles quand elles prétendent être des doctrines de salut.
Il avait quelques alliés fidèles qui partageaient et encourageaient ses extravagances. Ils se retrouvaient chaque jour mais jamais à la même heure ou au même endroit. Le téménos hermopolitain est vaste, il s'ouvre ou se ferme, opère des synchronisations, favorise les rencontres ou les déchaînements de la psyché. Les plus avisés parlent d'une quintessence de contre-pouvoir.
Il m'est arrivé de marcher pendant des heures dans la cité de Djéhouty sans rencontrer personne, hormis quelques cynocéphales ou des ibis nonchalants. Cependant, au-delà du sensible, je percevais une circulation intense, des glissements, des potentialités, des éléments invérifiables qui finissent par se manifester en éliminant les considérations inadaptées.
Le dieu maître de Khemenou ne déterre pas les morts, ne laisse pas d'ombres ensevelies, il brise les clepsydres qui rendent le temps trop prévisible. Notre histoire s'arrête là où la sienne commence. Il trace les mêmes signes mais ne raconte pas la même histoire. Des histoires intenses et brèves de pouvoir et de contre-pouvoir qui nous permettent de vivre en toute liberté sans pour autant lever le voile.
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