CATABASE : descente aux Enfers avec l'aide d'un rituel adéquat.
ANABASE : remontée des Enfers avec l'assistance d'un mystagogue masqué.

J'ai souvenir d'une vie qui n'est pas la mienne mais celle d'un enfant qui vécut des siècles auparavant, sous le règne de Pépi Premier.
Je me rends compte avec le recul que rien ne s'est passé comme prévu. Au fil des années, la crue du fleuve connaît de multiples variations. Certaines formes n'ont pas changé et d'autres ont disparu sans laisser de traces.
J'ai jeté par-dessus bord des années d'études qui ne parvenaient pas à soulager ma mélancolie, mes insatisfactions. Comment s'ajuster à un monde perdu, découpé en séquences par des historiens dépourvus de vision intérieure ?
Je préfère ne rien savoir sur un site où j'entre pour la première fois. Je privilégie les plus ruinés dont le nom même n'est plus prononcé depuis des lustres. Il faut s'acharner pour pénétrer un tant soi peu dans la mémoire minérale ou les émotions des officiants qui ont pratiqué ici des rites époustouflants, beaux à pleurer, propres à faire remonter un Bienheureux de la Douat.
Il arrive que nous trouvons ce que nous ne cherchons plus ou ce que, par ignorance, nous n'avons jamais cherché. Cette opération de catabase se fait sur le mode de la fulgurance. Un matin de printemps, le roi pose des fleurs et fait brûler de l'encens sur les 365 autels de son temple à ciel ouvert. Ce n'est ni un souvenir ni une vision mais le retour inopiné d'une inestimable splendeur. Au vrai, le roi ne fait pas des offrandes mais aide les fluides à circuler pour que les rayons de l'Aton fassent s'unir dans le royaume double le visible et l'invisible.
Dans le domaine des incohérentes prescriptions, les choses s'organisent autrement. A Hermonthis alors qu'on le débarquait, le Taureau sacré de Montou glissa dans le fleuve, disparut, laissant les officiants tristes et stupéfaits. Soudain, l'histoire se déchirait, le Soleil devenait noir, le Nil inquiétant. Quelques étoiles s'étaient éteintes dans le ciel mais on ne le saurait pas avant la nuit.

Il faut pénétrer par effraction dans certains téménos pour les investir au moment propice, profiter des brefs instants traversés par ces lumières intermédiaires que les renards et les loups savent retenir un moment en refermant sur eux leurs mâchoires puissantes.
Quand les circonstances s'y prêtaient, que les conjonctions planétaires étaient favorables, je programmais un voyage vers Kemet permettant de revenir sur des lieux déjà explorés avec plus ou moins de bonheur. J'avais besoin d'espaces vierges, de silences inédits. Je ne voulais pas être assujetti aux croyances d'une vie antérieure et réactiver des catabases anciennes pour chercher des pistes inconnues sur des lieux hybrides, excessifs, dévastateurs.
Je voulais collecter des fragments qui, un jour, s'assembleraient et deviendraient bouleversants. Je ne désirais pas entendre des voix d'outre-tombe mais des discours donnant le vertige, les paroles d'un Trismégiste qui autrefois portait le nom de Djéhouty, celui qui conduit dans les labyrinthes où l'on accepte de se perdre dans de troublantes contradictions.
Je me déplaçais comme un chat dans les ruines qui dialoguent avec les Ombres.
Pour aller plus loin, je fais seulement semblant d'être mort et de fuir les réponses définitives.
コメント