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BEATA VITA



Comme Rahotep avait fait ses études dans la prestigieuse Iounou-Héliopolis-University, il savait spéculer à peu près sur tout avec l'autorité - mais sans charisme - d'un homme persuadé de détenir la vérité et la clef des problèmes.


Comme il maîtrisait mal les rouages de l'Ennéade, il esquivait les questions sur les dieux, les genèses, les mythes héliopolitains. Quand les choses deviennent trop complexes, les meilleurs spécialistes perdent leurs hiéroglyphes.

Aux jeunes étudiants qui fréquentaient ses conférences ne déplaisait pas l'idée que le démiurge TEM avait lancé le processus de la création en libérant sa précieuse semence au terme d'une bonne branlette.

Mais Rahotep soulignait que si c'était aussi facile, nous serions tous des démiurges, ce qui est loin d'être le cas. La plupart des garçons sont de furieux masturbateurs mais de piètres bricoleurs.


Rahotep, qui n'était pas né sous le signe du Scarabée, était contrarié par une Création dont le seul objectif était le changement, les mutations permanentes, les transmutations aléatoires. Tout ce mouvement lui donnait le vertige. Il n'aimait pas marcher dans le sable, il aurait préféré quelque chose d'immuable, de définitif, avec repas à heures fixes.

Il se serait volontiers débarrassé des déesses lionnes pour accorder toutes ses faveurs aux chattes divines. Il ignorait qu'il n'y a rien de plus imprévisibles que les chats. Comme beaucoup, il ne voyait que ce qu'il avait envie de voir. Seth n'était pas dérangeant tant qu'il restait dans le désert à faire la nuba avec ses sbires violeurs et assassins. D'ailleurs ,Seth n'est pas un dieu héliopolitain. Autrement dit, il n'existe pas sauf dans le cerveau dérangé des fidèles d'Osiris qui l'ont inventé pour faire peur aux enfants et aux simples d'esprit.


Rahotep ne croyait pas que les forces du mal finiraient par l'emporter. Il y a trop d'étoiles dans le ciel pour que Nout, la truie divine, les dévore toutes. L'avantage de l'infiniment grand, c'est qu'il est sans limite et n'oppose pas d'obstacles insurmontables.

Quant à Rê, affirmait Rahotep, que peut-il faire d'autre que briller tant qu'un hurluberlu n'accrochera pas de mains au bout de ses rayons.

Dormez tranquilles les enfants, notre soleil est une étoile bienfaisante qui n'a pas encore brûlé toutes ses calories. Les enfants se demandaient bien ce que pouvaient être ces fameuses calories mais ils avaient confiance en leur maître et ne goûtaient guère une théologie entichée de métaphysique et d'astrophysique.


Rahotep les renvoyait à leurs pénates en leur souhaitant une beata vita heureuse parce qu'harmonieuse et sans préoccupations existentielles.

En les regardant s'éloigner en chahutant, il se disait qu'il aurait pu leur parler du Noun, de la matière noire, de l'Ombre Khaïbit qui finirait par prendre le dessus. Mais comme tout cela était vaguement inquiétant, il valait mieux imaginer une fin heureuse à l'histoire et souligner que le Benou renaissait sans cesse de ses cendres à condition de ne pas les jeter dans les eaux noires du Noun.


Rahotep fut un jour convoqué par son supérieur hiérarchique, le Grand des Voyants, qui ne lui adressa pas la parole mais l'observa longuement, ce qui ne laissait rien présager de bon.




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