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BASALTE

Tchairy et son équipe devaient installer le sol en basalte de la nouvelle salle hypostyle. C'était un travail dangereux compte tenu des lourdes dalles qu'il fallait transporter et mettre en place. Personne ne devait être blessé et si une goutte de sang bien rouge éclaboussait le basalte bien noir le chantier devait être abandonné. Le rouge est la couleur des dieux harassants et tourmenteurs.


Les dalles taillées et polies doivent être amenées sur les lieux huit décades avant d'être posées, le temps que se produisent les échanges fluidiques entre le téménos et le minéral. Sans cette précaution, elles risquent de se fendre ou d'être mal équilibrées au point de provoquer la chute des officiants lors des rituels.


Très tôt orphelin, Tchairy avait été élevé par un oncle maternel poseur de dalles dans les temples. Il lui avait appris toutes les ficelles du métier et même l'art de dialoguer avec les pierres de toute nature, y compris celles à réalité augmentée.

Il venait la nuit sur le chantier et s'entretenait avec les dalles déjà posées. Le lendemain, sans plus d'explications, il demandait aux ouvriers de changer de place une dalle, de la positionner dans un autre axe, de la mettre en sympathie avec son environnement immédiat. Sa complicité avec le monde minéral lui permettait de balayer les oppositions significatives, de réduire les antagonismes, de trouver la place exacte, de chasser les génies sournois qui colonisent les strates de certains minéraux qui n'ont pas su s'affranchir d'un contraignant état de dépendance.


Chaque famille de minéraux use de son propre dialecte. Tchairy était suffisamment polyglotte pour les comprendre tous et même servir d'intermédiaire. En explorant son territoire, il avait pris conscience de la supériorité du monde minéral sur tous les autres règnes du vivant. C'est l'endroit idéal pour travailler, se disait-il en contemplant le dallage poli comme un miroir. Le plafond n'était pas encore posé, les étoiles dansaient sur la pierre sombre. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. Cela ne prouve pas l'existence de dieu mais permet de tenir la distance, de rester en équilibre, de tenir Nout pour la plus admirable des déesses.

Tchairy avait noté que les ouvriers

travaillaient mieux quand ils étaient déconcertés, ce qui leur évitait de suivre un modèle trop défini, une routine qui, en détournant l'attention, devenait dangereuse. Le matin, il ne leur parlait pas de l'avance des travaux ou des accidents possibles mais de la peau noire du netjer Min et des rapports qu'entretient le basalte avec la Lune quand il est recouvert d'argent.


A l'époque pharaonique, on était encore loin d'avoir avili les minéraux en les considérant comme d'inertes matériaux de construction. On respirait avec eux, on les sollicitait, on les aimait. En maintenant un contact étroit avec eux, la Magie sympathique rendait vivantes les statues en pierre qui vous observaient avec leurs yeux d'obsidienne.


Un soir, en rentrant chez lui, Tchairy décida de mettre par écrit tout ce qu'il savait des minéraux. Il consacra son premier texte au basalte : Son nom est NEMEHEF, poli, il est difficile à distinguer d'une grauwacke noire. Il s'est formé à la fin de l'Oligocène il y a 23 millions d'années. On le trouve entre autres dans le Fayoum et dans l'oasis de Bahariya.

Le plus fin vient de Gebelein en Haute Egypte. Il est utilisé pour les statues, les sarcophages et les vases de l'époque prédynastique. Sa couleur évoque le limon noir et fertile du fleuve d'où montent les hautes tiges de papyrus que sont les colonnes.

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