Sur le milieu du chemin de la vie, je commençais à me poser des questions sur la place que la mort occupe dans mon paysage mental et spirituel. Est-il nécessaire pour bien vivre de penser à la mort, d'en faire un récurrent sujet de cogitation ? Est-il judicieux de l'ignorer comme un état qui ne nous concernera jamais ? La fréquentation des vieux Egyptiens m'a laissé penser que le sujet n'était pas sans importance. Pour eux, l'essentiel pour un mort est de partir vivant et ils ont apporté un soin méticuleux à leurs rites et à leur mobilier funéraire. Un sarcophage décoré de hiéroglyphes en pâte de verre colorée a une autre gueule qu'un cercueil en sapin ! Imagine-t-on un affreux cercueil en bois brillant dans un musée ? De plus, ils prétendaient que lesdits hiéroglyphes avaient un sens, qu'ils étaient même des formules magiques pour tenter d'échapper aux aléas de l'au-delà.
L'idée que l'après-vie soit comparable à un jeu de piste ne me déplaît pas. C'est toujours ça de pris sur l'éternité, qu'elle soit ou non un début ou une fin.
Les Egyptiens entassaient dans leurs tombes des centaines de shaouabtis qu'on prétend être de gentils serviteurs. Ils stockaient suffisamment de nourriture et de boissons pour tenir un siège. A l'intérieur des sépultures on constate, que les défunts n'avaient touché à rien. Ils n'avaient donc aucun appétit ! Les plus évolués affirment que tout cela est à prendre au second degré, que se cachent là-dessous des références symboliques. Par exemple, le pain est le corps d'Osiris et n'est jamais destiné à faire des sandwichs. J'apprécierai que dans ma tombe on place des sucreries, quelques bouteilles de spiritueux et de l'eau gazeuse.
Au royaume des pharaons, les défunts ne jouissent pas d'un repos éternel. Ils ont toujours quelque chose à faire telles des fouines dans un poulailler. Ils doivent marcher dans des étendues arides, ouvrir des portes, vérifier qu'ils ont bien les bonnes amulettes, se disputer avec les Gardiens des seuils, ramer comme des galériens, prendre garde à ne pas progresser la tête en bas et à ne pas manger leurs excréments. Quant aux dieux auxquels ils croyaient sur terre, ils n'en trouvent ici aucune trace. Les dieux sont immortels, on ne voit pas ce qu'ils feraient dans le royaume des trépassés.
J'ai lu toutes les versions du Livre des Morts. Outre qu'ils nécessitent de solides connaissances linguistiques, lexicographiques et géographiques, ils ne me laissent pas l'impression d'être une promenade de santé. Cependant, ils ne sont pas dénués d'un certain charme. Ils sont parfaits pour ceux qui craindraient de s'ennuyer dans la Douat et qui aiment résoudre des rébus et des énigmes. Ils s'apparentent à un jeu vidéo. Si on n'a pas l'esprit acéré et une bonne pratique de l'informatique, on risque d'en prendre plein la gueule. Mieux vaut alors se faire oublier ou se tapir derrière une dune en attendant une nouvelle opportunité.
Certains égyptologues à la pointe du progrès et bardés d'ordinateurs portables qu'ils transportent jusque dans leur tombe, affirment que les Egyptiens avaient une vision virtuelle de la mort. Ils faisaient semblant d'y croire alors qu'en réalité ils s'en foutaient comme d'une guigne. Les plus sages disent que tout cet apparat n'était pas destiné au confort du défunt mais à la tranquillité d'esprit des survivants. Personne n'a envie de monter dans la barque du Soleil Noir, de naviguer pendant 12 très longues heures pour finalement être obligé de renaître au matin sous la forme d'un vilain scarabée noir.
Vous connaissez tous la scène finale du Livre des Morts qualifié de psychostasie ou pesée de l'âme. Traduction affligeante si l'on sait que les Kémitiens ne croyaient pas à l'existence de l'âme. Il vaut mieux dire Kérostasie, évaluation du destin d'un être arrivé en bout de course. Ce défunt fait profil bas quand il entre dans un pseudo-tribunal nommé la Salle des Deux Maât. Ousir sommeille sur son trône, des créatures masquées tiennent le rôle de Thot et d'Inpou, des petits gnomes gothiques sont accrochés au plafond. Le mort, qui a la langue bien pendue, affirme qu'il est impeccable, au-dessus de tout soupçon. Il n'a pas couché avec sa mère, a distribué tous ses biens aux indigents, n'a jamais proféré d'injures envers le roi ou le dieu de son nome. Discours dont personne ne croit un mot. De toutes façons, l'issue est la même pour tout le monde. Au pied de la balance siège un monstre repoussant, un mixte de truie, de crocodile et d'hippopotame. Il est censé avaler les morts vicieux qui se font passer pour des saints laïques. En fait, la punition est plus terrible encore. Le monstre édenté et souffrant d'indigestion chronique est bien incapable de croquer un marmot, un prêtre sournois ou un scribe aux doigts pervers. Il ne reste plus au défunt qu'à avaler le monstre avant de tirer sa révérence et d'envisager de nouvelles aventures dont la fin sera plus surprenante encore.
Une autre fois, si je suis encore en vie, je vous offrirai une lecture plus alchimique de la kérostasie.
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