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Variation sur l'écoulement du temps

Il prononçait des discours qui dépassaient un peu la compréhension de ses auditeurs. Cela tenait certainement à leur inadaptation obstinée à la pensée hermétique. Il habitait une maison à l'orée du désert qui, vue de l'extérieur, paraissait abandonnée, propice aux retournements, aux influences les plus inattendues. Une demeure où les Esprits du désert pouvaient trouver refuge mais pas les humains ordinaires.


Avec ses Suivants, il abordait des thèmes comme la profondeur, l'humeur fantasque du vent du sud, les rites propitiatoires adressés aux divinités sauvages de la Nature, les extases intimes qui ne conservent leur charme que tant qu'elles ne sont pas révélées.

Il affirmait que nous serions plus tranquilles si nous prêtions allégeance aux ambiguïtés du monde qui nous entoure.


Il pouvait rester des heures assis, les yeux perdus dans le vague. Il ne dormait pas, il scrutait les signaux venus des confins de la galaxie en se gardant bien de les interpréter quand l'un d'entre eux se manifestait sans prévenir. Il nous recommandait de prendre en compte les moindres variations qui traversaient nos vies, susceptibles de modifier les rapports entre le Akh et le Sahu. Variations survenant dans les temps morts, les moments de béance où nous renonçons à donner un sens à nos inconséquences.


Revenons à la maison qui depuis des années écartait les superstitieux car elle avait la réputation d'échapper aux rassurantes classifications, de ne pas obéir aux règles basées sur les présages d'une texture particulière. La peur irraisonnée est plus pernicieuse qu'une vipère céraste qu'on voit trop tard onduler sous le sable.

Ceux qui avaient la chance de fréquenter cette maison affirmaient qu'après cela leur énergie vitale s'était accrue, leur conscience s'était élargie. IIs voyaient des êtres et des choses dont ils n'avaient jusqu'alors jamais soupçonné l'existence. Si rien n'était de circonstance tout pouvait devenir sujet de plaisanterie, de jaillissement d'un humour ravageur, d'une humeur désinvolte.

Quand ils n'étaient pas assoupis, les monstres menaient une joyeuse sarabande à l'intérieur de la maison et dans le jardin qui l'entourait. Des monstres rares, moins mythologiques que cryptomystiques, attendant pour se manifester que les conditions soient défavorables ou que le désert se mette à refleurir.


Certains aventuriers avaient mis des années avant de découvrir la maison. Le Prince tomba sur elle alors qu'il chassait une gazelle oryx.

Cette gazelle, l'animal blanc du désert aimé de Seth, se réveille au moment où se lève l'étoile Soped. Elle peut rester sans boire pendant des semaines. Elle est le principal ennemi d'Aapep et la protectrice du roi quand il voyage lors de ses visions. Elle est protégée par Bastet et Mout-Sekhmet. C'est une créature que ses cornes longues et effilées rendent dangereuse. On la chasse au filet, elle peut charger le chasseur qui la traque. Il faut alors se coucher sur le sol et attendre qu'elle s'éloigne. Une tête d'oryx sert d'ornement à la poupe de la barque de Bastet, de Nekhbet et de Sokar. Cette tête a pour objet de détourner les maléfices se dressant sur le chemin des dieux.



Après avoir franchi le seuil, le Prince se sentit exister autrement, plus intensément, loin des embrouillaminis de la Cour. Il ne savait pas encore qu'il avait ralenti et dilaté le temps ou même l'avait outrepassé, ce qui ouvrait un monde de spatialités parallèles. Il en avait fini avec les insignifiances, les cohérences trop ajustées au réel.

Comme il ne revint pas au palais, le bruit courut qu'il était entré dans la Maison du Sphinx qui lui avait demandé de renoncer au trône pour s'occuper des divins chats de Bastet.

Absorbé par cette maison, il oublia de changer de nom, d'exhumer un dieu ancien de Kemet, de fonder la cité sainte d'Akhet-Aton. Ainsi il n'aurait dérangé personne, ne se serait pas mis en danger.

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