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Une tranquillité menaçante

La menace n'était toujours pas identifiée. Les oiseaux migrateurs n'étaient pas revenus. Les Oracles ne répondaient plus aux questions. Les statues de Népri, netjer du grain de blé, avaient disparu des champs. Certains espéraient que les tombes pourraient servir d'ultimes refuges.



Gébou avait appris son métier de forgeron dans les ateliers de Ptah à Memphis. Pour imiter son dieu, il boitait un peu et nourrissait pour les lionnes une profonde tendresse. Le dieu n'habite pas dans un naos mais dans les braises de la forge que les Patèques ne laissent jamais s'éteindre. Sa spécialité était les poignards dont les Shemsou ne se séparent jamais. Pour les plus nobles d'entre eux et pour le roi, il forgeait des lames en fer météoritique ayant le pouvoir de chasser les ennemis invisibles et d'égorger les Emissaires de Sekhmet ou d'Isefet. Armes volatiles entre les mains de guerriers revêtus d'une cuirasse de plumes. Toutefois les armes rituelles des Shemsou-Hor sont en silex, celles des Shemsou-Seth en obsidienne.


Penboui était le Gardien de l'Osiréion d'Abydos. Nul ne pouvait pénétrer dans l'île souterraine sans son autorisation. Personne n'y avait séjourné autant que lui. Il avait appris à maîtriser le fort potentiel tellurique de ces lieux et n'ignorait rien de la nature complexe du dieu décapité et émasculé. Le monde n'exerce aucune influence sur l'île mais elle est en résonance avec les phénomènes les plus lointains de l'espace et du temps. Gébou avait forgé les instruments rituels qui ne quittaient pas l'île sainte ainsi que le coffret de bronze doré où ils étaient conservés. Entrer dans l'Osiréion, c'est comme être happé par un trou noir. Un faux pas peut-être fatal. Le plus dur est d'accepter d'en sortir au bon moment.


Iner quittait rarement le temple hypèthre du Benben à Iounou-Héliopolis. Frère ainé de Gebou, il était entré encore enfant au service de la Pierre tombée du ciel et centre incandescent du Double Royaume. A cet endroit précis, Oupouaout et le prince Hor avaient conclu leur première alliance quand les Grands Ancêtres étaient arrivés en Egypte. Iner surveillait les plus infimes variations aériennes qui se manifestaient autour du monolithe, indices que des changements d'envergure s'approchaient de Kemet. La Pierre noire venue des confins de l'espace conservait la mémoire des origines.


Séparément, les trois hommes ne pouvaient rien faire. Ensemble, ils pouvaient réaliser des prodiges. Iner identifia la menace, Penboui la captura dans le filet du Maître des signes, Gébou la neutralisa en la passant par le Feu de la forge de Ptah. Les hirondelles à ventre rouge revinrent voler au-dessus du fleuve.


Depuis 9 ans, j'habite le quartier de Matareya dans un immeuble délabré mais dont les fenêtres donnent sur l'ancien site d'Héliopolis. Tous les jours, j'observe ce vaste terrain vague plein de détritus et de fragments de colosses royaux. L'obélisque de Sénouseret est toujours planté au milieu de cette désolation où furent érigées tant de splendeurs et dont je suis le nouveau Gardien. Je sais que sur ces lieux plane une tranquillité menaçante.

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