Paperiset enseignait dans la Per Ankh depuis plusieurs décennies. Il était le doyen de cette noble institution. Son grand âge et son embonpoint le faisaient passer pour un sage toujours de bon conseil. En fait, l'adjectif espiègle lui convenait mieux.
Il s'occupait des plus jeunes élèves qui l'adoraient car, avec lui, l'acquisition des connaissances prenait la forme d'un jeu. Dans les hiéroglyphes, les gamins sautaient avec les lièvres, suivaient les hérissons dans leurs pérégrinations, se perchaient dans les arbres avec les oiseaux, n'en finissaient pas d'admirer la beauté un peu inquiétante des serpents.
Paperiset savait que les enfants ont besoin de se dégourdir les jambes. Il ne leur imposait pas de longues séances d'immobilité et les faisait courir autour de la grande cour à portiques, les autorisant même à grimper dans les pylônes pour découvrir autrement le monde et le ciel.
Tous les enseignants n'étaient pas aussi débonnaires. Ils chicotaient volontiers les scribounets en vertu ce cet adage bien connu : les oreilles d'un élève se trouvent dans son dos. Paperiset laissait les siens se gratter avec leur calame, se chamailler entre eux et poser leurs doigts pleins d'encre sur leur pagne de lin blanc.
Il ne leur dispensait pas un enseignement pontifiant mais leur livrait de petites phrases bien senties et intrigantes :
* Quand on est idiot, il ne faut pas en avoir l'air.
* Une heure dans le potager du temple est plus précieuse qu'une année à massacrer les hiéroglyphes.
* Si vous ne comprenez pas un signe, ce n'est pas grave, lui sait exactement où sont vos limites.
* Ce n'est pas pour rien que nous avons des dieux-enfants, sans eux vous seriez condamnés à devenir trop vite des adultes sans avoir eu le temps de faire des bêtises.
* Un scribe empesé dans son pagne, trop sérieux, n'écrit plus que des niaiseries qui n'intéressent personne. N'oubliez pas de rire entre deux lignes.
* Pour écrire sans avoir de courbatures, vous devez trouver le point d'équilibre de votre corps. Il n'est le même pour personne, voila pourquoi je ne vous en dirai pas plus.
* Les mauvais élèves balayent le sol en soulevant des nuages de poussière, les bons ne dérangent pas les minuscules insectes qui patrouillent sur le dromos.
* Si un chat vient s'installer sur votre natte pendant que vous êtes en train d'écrire, votre journée sera douce et pleine d'agréments. Remerciez la déesse de Bubastis et le gros matou qui défend le Soleil Noir contre les attaques du vilain serpent Aapep.
* Je donnerai un gâteau au miel fourré de dattes au premier qui n'osera pas me contredire.
* Quand vous aurez réussi à tracer avec maestria le hiéroglyphe de la chouette, ne le dites à personne sinon votre secret serait trahi.
Paperiset aimait raconter à ses petits apprentis les vieux mythes de Kemet., les plus connus mais aussi les plus mystérieux comme celui de la déesse lointaine où Bès fait des grimaces, Thot le joli cœur et Hathor la sucrée.
Après une journée avec les enfants, Paperiset aimait retrouver sa maison. Il allumait un cigarillo, lisait le Waset Herald et envoyait des textos amusants à ses amis dispersés dans tout le royaume.
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