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Une histoire non élucidée

L'histoire n'est pas facile à reconstituer. Je ne sais par quel bout la prendre. L'homme avait été découvert au moment de la décrue, à moitié dévoré par les crocodiles qui, on le sait, sont, chez nous, les animaux sacrés de Sobek, divinité écailleuse et ambiguë, spécialiste de la nage en eaux troubles. J'ai un peu étudié l'Art chymique et je sais que les sauriens sont associés à la phase de la Trituration.

Le cadavre portait sur le cou un tatouage de Neith, déesse androgyne de Saïs et mère supposée de Sobek.



Babaef, le policier Medjaï chargé de l'enquête, nourrissait des craintes superstitieuses à l'égard des crocodiles. Il se garda bien de toucher le corps et tenta d'enterrer rapidement l'affaire. Il confia les macabres restes à des prêtres embaumeurs ayant pour mission de momifier les corps des noyés déchiquetés par les crocs puissants des crocodiles.


Ce qui marche dans un sens ne marche pas forcément dans l'autre. Les travaux des embaumeurs allaient commencer à la première heure de la nuit quand une vieille paysanne tout de noir vêtue se présenta et affirma qu'elle connaissait l'identité de la victime. Il s'agissait de son frère qu'elle n'avait plus vu depuis des lustres et qui était porté disparu. Elle ne savait pas trop de quoi il vivait. Était-il marchand, forgeron, sementiou, soldat ou marin ? Le discours de cette femme devint de plus en plus incohérent et elle finit par se volatiliser dans l'air après avoir affirmé qu'elle était la Grande Aset, épouse d'Ousir, qui avait obligé le divin Sobek à remonter sur son dos les fragments du corps dilacéré de son bien aimé jeté par Seth dans les eaux boueuses du fleuve.


Les enquêteurs n'aiment pas trop que des données mythologiques se mêlent à leurs investigations. Non qu'ils n'aiment pas les dieux mais ils les estiment incapables de commettre une action aussi sordide que celle de trucider une créature imaginée par Tem, créateur fécond quoique mais pas toujours efficace.

La sœur du mort disparut avant d'avoir révélé l'identité de son prétendu frère. Fait d'autant plus embarrassant qu'un des prêtres de Sobek, très au fait des rites funéraires, déclara : Un vivant ou un mort qui n'a pas de nom n'existe pas.

Lâcher dans la Douat une dépouille anonyme était la condamner à une errance définitive mais lui attribuer un faux nom était pire encore. Les Gardiens des portes auraient tôt fait de démasquer l'imposture et l'auraient précipitée dans cet Enfer de tortures imaginé bien plus tard par les monothéistes.


Finalement, ce corps mettait tout le monde dans l'embarras. Aucun ritualiste n'aurait imaginé un dénouement heureux. Là dessus Babaef mourut subitement avant d'avoir élucidé l'énigme.


Il restait quelques cheveux blond roux sur le crâne du macchabée, couleur plutôt rare en Egypte mais commune dans la famille des rois Ramsès. Le noyé était donc un membre de la famille royale et il obtint facilement un laisser passer lui permettant de contourner la Douat et de dénicher les bureaux de la chancellerie où était attribué le Ren de chaque nouvelle créature.

Il restait à prouver à notre défunt qu'il était bien celui qu'il prétendait être ou ne pas être.

Bien longtemps après, dans un tout autre contexte historique, on le retrouva comme fonctionnaire du bureau de l'Etat civil d'une grande ville de l'hémisphère sud.



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