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Une archéologue de choc

Extraits du journal intime d'Alice Lecerteux

Avec l'Egypte, je crains de perdre le contrôle du passé. Un passé si lointain et si proche. J'ai cherché des indices ouvertement puis discrètement. J'ai fixé mon attention sur des sites que peu de personnes connaissent, comme le temple disparu de Henen Nesout ou la pyramide éventrée d'Abou Rawash. J'ai observé et photographié des milliers d'amulettes éparpillées dans les grands et petits musées de la planète.

J'ai compris que les Kémitiens avaient dispersé les indications les plus utiles tout en les mettant bien en évidence. On voit rarement bien ce qui est en pleine lumière, à hauteur des yeux, comme les textes hermétiques de Dendera.


Alice Lecerteux était une archéologue futée qui ne prenait rien à la légère. Elle pouvait rester plusieurs jours sur une ligne de hiéroglyphes du Moyen Empire. C'était une avide lectrice de fictions policières. Elle trouvait dans ces récits des idées pour remonter jusqu'à un pilleur de tombe qui n'avait pas eu le temps de tout emporter. Quand elle en tenait un par le cou, elle ne le lâchait plus et parlait avec lui l'antique dialecte du Saïd. Elle posait les bonnes questions, par exemple la méthode qu'il avait utilisée pour localiser une tombe secrète ou l'art de ne pas être pris la main dans le sarcophage.

Elle ne croyait pas aux malédictions car elle doutait de l'efficacité de la magie égyptienne. Elle avait tort et aurait dû être plus prudente... L'archéologie peut-être un métier à hauts risques. On peut recevoir un chapiteau sur la tête, dévaler un escalier en mauvais état, suivre pendant des années une piste ne menant à rien ou encourir la colère d'un défunt dérangé dans son sommeil éternel.

Elle ne consommait que des chips basses calories et adorait manger sur le pouce dans un hypogée mal aéré et sentant la chair en décomposition.



Elle était trop brillante pour être appréciée de sa hiérarchie. On lui mettait sans cesse des bâtons dans les roues, on se gaussait de ses habits de vieille fille, vêtue comme ces héroïnes du XIXe siècle qui remontaient en bateau à vapeur jusqu'aux pyramides de Méroé, jusqu'à Kartoum et même jusqu'aux sources du fleuve divin.


Petite fille, elle avait dévoré des grimoires magiques collectionnés par son arrière grand-père qui était spécialiste de la Magie antique, pour apprendre à circuler dans les mondes parallèles où l'on flirte avec la Mort. La nuit, quand toute l'équipe de fouilles était rentrée au camp, elle se couchait dans un sarcophage et réussissait parfois à changer de dimension.

Elle connaissait le nom secret des 42 Gardiens de la Douat, considérait Osiris et Isis comme ses parents et aimait cheminer dans le djebel main dans la main ave le Loup Inpou.

Au matin, quand on lui demandait si elle avait bien dormi, elle répondait : Comme une momie parfumée et bien emmaillotée. Tout le monde riait et pensait qu'elle était complètement frappadingue. En tout cas, elle ne sentait pas mauvais et se moquait des sourires ironiques de ses collègues, estimant à juste titre qu'ils ne lui arrivaient pas à la cheville, eux qui ne croyaient pas aux dieux de Kemet.

Dans les villages alentour, on la tenait pour un vampire entouré d'affrits. On évitait de croiser son regard, on éloignait les enfants, on n'entrait ni dans son jardin ni dans sa maison mais on parlait beaucoup de ses excentricités.


Elle travaillait depuis quelques années à Louxor et plus spécialement sur la rive ouest, riche en nécropoles et en temples funéraires. Elle côtoyait les membres des différentes missions qui œuvraient là et en particulier les archéologues britanniques connus pour leur flegme et leur approche originale de l'Egypte des pharaons. Elle appréciait surtout un certain Herbert Cathertwood dont les fouilles étaient financées par un richissime lord anglais qui achetait des concessions disponibles qu'il confiait à son savant compatriote.


En explorant la zone située à l'entrée de la Vallée des Rois, Alice, en soulevant un rocher ,avait mis la main sur des tissus de lin ayant servi à un embaumement et qui portaient le nom d'un roi inconnu nommé Nebkheperourê-Toutankhamon. De tels artefacts étaient la preuve que la tombe de ce souverain énigmatique devait logiquement se trouver à proximité. Discrètement, elle effectua de nombreux sondages et fit de nombreuses recherches sur cette période et son contexte historique.


Extrait du journal intime d'Alice Lacerteux

Aucune tombe n'a encore été mise à jour au nom de Toutankhamon. Je sens qu'elle est là, sous mes pieds, ce qui me donne la chair de poule. Je suis excitée comme un scarabée, je prie tous les dieux er déesses de Kemet de m'inspirer et de me prêter main forte. Dans mon sarcophage, je rêve la nuit que la tombe est intacte, qu'elle a échappé aux profanateurs et attend que je la ramène au jour. Hier, le jeune fils d'un des ouvriers m'a fait part d'une découverte qu'il avait faite en fouillant un tas de gravats. Il avait déblayé en grand secret une marche taillée dans le sol et supposait qu'il s'agissait de l'amorce d'un escalier conduisant sans doute à l'entrée d'une sépulture inédite. Je tenais enfin la clé de l'énigme. Je demandai au garçon de tenir sa langue et commençai à mettre au point un plan de bataille.

Un peu plus tard dans la journée, je croisai la route d'Herbert qui m'invita à diner chez lui d'un repas de cailles et de purée de fèves. Pendant que nous mangions et après avoir bu un peu trop de vin et de cognac, je lui fis part de mes découvertes. Ses yeux se mirent à briller, il me promit de venir le lendemain sur le chantier. Le lieu, le nom du roi et la marche lui firent grande impression. Je le sentais fébrile, remarquai qu'il me regardait d'un drôle d'air et me posait un peu trop de questions.


Alice avait été très imprudente. Elle ignorait que les archéologues, surtout anglais, peuvent être très sournois et dévorés d'ambition. Elle ne savait pas encore qu'elle venait de rater la première marche et qu'elle allait être victime d'une abominable machination.

Le vendredi suivant, jour férié en Egypte, les chantiers étant au repos, Herbert invita Alice à venir crapahuter avec lui dans les falaises se dressant au-dessus de Deir El Bahari, riches en promesses de fabuleuses découvertes. Alice se laissa séduire et suivit son collège sans méfiance. Ils partirent avant l'aube après avoir pris un petit-déjeuner de thé bien fort, accompagné de toasts à la Vache qui rit et à la confiture de dattes.

Alice était aux anges et commençait à se demander si elle n'était pas quelque peu amoureuse de cet anglais si chic et si correct, à défaut d'être chaleureux. Pendant l'ascension, il l'avait prise plusieurs fois par la taille pour l'aider à franchir des obstacles sans toutefois abuser de la situation. Le rouge lui montait aux joues tandis qu'elle contemplait le splendide panorama qui s'ouvrait devant eux. Elle commençait à se prendre pour la reine de Kemet cheminant en compagnie d'un prince du sang. On était à la fois dans Agatha Christie et Barbara Cartland.

Elle s'arrêta pour examiner dans la roche calcaire quelque chose qui ressemblait à une porte sans se rendre compte qu'une faille s'ouvrait sous ses pieds. Une forte poussée dans le dos la précipita dans cet abîme mortel. Elle eut à peine le temps de penser qu'elle allait servir de repas aux fennecs et autres rongeurs du désert.


Quelques mois plus tard, Herbert Catherwood annonça au monde qu'il venait de découvrir la tombe du roi Toutankhamon qui le ferait entrer dans la légende de l'archéologie égyptienne au prix d'un crime et d'une incroyable imposture.


N.B. Toute ressemblance avec des personnages ayant existé est purement fortuite.


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