Pourquoi sommes-nous fascinés par telle ou telle période de l'Histoire ? Pourquoi telle autre nous laisse-t-elle indifférents ou nous révulse-t-elle ? Parfois un réseau de connivences fines se met en place et la Magie opère avec une efficacité sans faille. Le temps alors n'existe plus, des portes sont susceptibles de s'ouvrir, les allers-retours s'enchaînent, glissements sur les rampes montantes et descendantes des pyramides ou des temples des Millions d'années.
Le Trismégiste dit : Nous savions tout, nous avons oublié, la ressouvenance est la forme la plus élaborée de la connaissance.
Je me souviens de mon cœur qui battait très fort lorsque j'activais la combustion de la résine parfumée devant les narines de la déesse. Le geste s'inscrit dans une cohérence sensible. L'éternité n'est pas un temps qui se déroule sans heurt mais une succession d'arrêts et de départs ne laissant aucune chance au hasard.
Le site de Medinet Maadi, noyé dans la beauté du crépuscule, repousse une seconde encore l'obscurité et les fastes des rituels nocturnes. Le moindre détail fait sens : la réhabilitation d'une saveur, le tracé onctueux d'un hiéroglyphe, les parcelles d'un monde inaccessible à la raison.
Des bouleversements s'opèrent dans les abîmes. Inpou le louveteau reconnaît l'odeur de son maître. J'ai posé sur la poitrine du prince mort un pectoral en or mussif aperçu dans la vitrine d'un musée.
Des larmes brûlantes devant le visage massacré d'une sphinge. Haine des profanateurs, le regard cherche en vain les joints entre les pierres. Dans le jardin de l'hôtel, les huppes sautillent sur le gazon, un vanneau chasse les intrus s'aventurant sur son domaine, les hirondelles à ventre rouge boivent l'eau de la piscine.
Un matin pas comme un autre, il est trop tôt pour songer à partir, les gardiens dorment dans leurs cabanes de terre plantées sur un monticule au-dessus des téménos. Des monstres ailés somnolent dans les coins d'ombre et dans ma tête Schwaller de Lubicz allume son athanor dans le laboratoire alchimique de Karnak. Il ne sait pas vraiment où il va mais le roi Amenhotep le protège.
Un peu plus tard, je bois la première Stella de la journée dans les tombes de l'Assassif. Le taux vibratoire change et rend vivantes les images des officiants à l'œuvre sur les reliefs.
Le Trismégiste écrit : l'objectif n'est pas de revenir mais d'être à nouveau noirci afin de pouvoir atteindre la 17e crypte où gîte l'Hippopotame divin que ses fidèles nomment la Grosse ou encore Opet. Impression de se trouver dans l'espace entre deux lignes de hiéroglyphes.
Le risque fait partie de l'aventure, ne rien trouver n'est pas la preuve que rien n'existe. Sous le village s'étirent des kilomètres de couloirs, de galeries, des chambres funéraires aux formes déviantes, des sarcophages intacts et d'autres éventrés, des têtes plantées sur une hampe, des vases canopes fermés par des bouchons de cire, des milliers de fragments d'amulettes, des incantations tournant en boucle dans une atmosphère sèche et immobile.
Retour à l'hôtel, arrêt au bar pour laper une énième bière. Dans ma chambre, allongé sur le lit, j'adopte la position d'une momie récalcitrante en attente de réintégration dans le Noun.
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