Personne ne connaissait mieux le fleuve qu'Atéti, pêcheur lui-même fils de pêcheur. Il savait que l'eau conserve le souvenir des mondes évanouis. D'un jour à l'autre, une île pouvait disparaître, un banc de sable surgir de la gueule de Seth.
Le netjer du fleuve est Hâpy, vieux dieu portant le pagne et la ceinture des pêcheurs. Atéti lui demandait pardon quand il attrapait ses poissons dans ses nasses ou ses filets. Lui, ne mangeait pas ce qui sortait des eaux.
Je l'aime car il vient des débuts du monde quand l'eau recouvrait toute la terre, pensait Atéti. Il n'y avait pas encore d'oiseaux ou de sauriens mais on sentait que la gestation arrivait à son terme. La surface commençait à être parcourue de frissons, d'ondes à peine perceptibles.
Kemet était un reste de ce jardin perdu où proliféraient les premiers papyrus jusqu'à devenir aussi drus que les colonnes du temple.
Parfois Atéti prenait dans ses filets un noyé que les crocodiles n'avaient pas eu le temps de déchiqueter. Il apportait le corps aux prêtres de son nome qui le momifiait pieusement selon les règles de l'art d'Inpou. Il était sorti des eaux du fleuve, il allait entrer dans celles du Noun qui ne sont pas noires mais bleu-foncé.
Atéti ne contrariait pas le rythme du fleuve. Avant de lancer sa barque dans le courant, il lui caressait le dos et murmurait des incantations destinées à le charmer, à le rendre favorable. Il entretenait avec lui des rapports de tendresse dépourvus de violence.
Personne ne le savait mais chaque fois qu'il entrait dans le fleuve il en sortait rajeuni et sa vie devenait plus suave.
Un matin, fatigué de sortir les poissons du fleuve pour les regarder s'asphyxier au fond de sa barque, il décida d'abandonner le métier de pêcheur. Dans un passage où le fleuve est particulièrement large, il s'établit comme passeur après avoir nettoyé sa barque avec de l'encens qui chassa l'odeur des poissons morts.
Son premier passager fut le netjer Sobek qui avait pris l'apparence d'un dieu portant la tresse spiralée des enfants royaux. On ne se méfie pas assez des dieux-enfants qui se montrent souvent capricieux et cruels. Arrivé au milieu du fleuve, là où le courant est le plus fort, une brusque rafale de vent du nord fit chavirer la légère embarcation.
La dernière voix qu'il entendit fut celle du dieu bambin qui lui disait : Souviens-toi de moi quand tu nageras dans les eaux tièdes du Noun.
Ce même jour, Hâpy offrit aux hommes la précieuse rosée.
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