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Un étrange monastère

Je me suis intéressé un temps aux Chrétiens d'Egypte, plus connus sous le nom de Coptes.

Ils appartiennent à la forme la plus ancienne du Xristianisme et se sont séparés très tôt de la tutelle catholique romaine. Ils sont surtout les inventeurs de toutes les formes du monachisme : les ermites, les cénobites, les anachorètes et les moines vivant en communauté dans un monastère sous la férule d'un Père Abbé.

J'entrepris de découvrir les grands monastères historiques comme Saint Antoine et Saint Paul, près de la Mer Rouge ou les quatre du Wadi Natroun au niveau du Delta.

Monastères qui sont toujours l'objet de pèlerinages pour les Chrétiens de toute l'Egypte qui s'y rendent surtout à l'occasion des grandes fêtes religieuses comme Noël ou Pâques.

Ce n'est pas tellement l'aspect chrétien qui me passionnait mais plutôt les traces de l'Egypte antique qu'on pouvait trouver chez eux, dans leur langue liturgique, leur musique, leurs célébrations rituelles. A vrai dire, ces traces sont plutôt discrètes mais elles avaient retenu l'attention de Jean-François Champollion dans ses tentatives de décryptage de la langue hiéroglyphique.

J'ai aimé leur manière très lente de célébrer leur messe avec des cymbales, des chants lancinants qui peuvent s'étirer sur des heures et des heures. Les fidèles sortent de temps en temps pour griller une cigarette, boire un soda tiède tandis que leurs enfants courent dans tous les sens jusqu'à ce qu'un moine entreprenne de les calmer.


En dehors des grands monastères que je viens d'évoquer, il en existe de nombreux autres répartis sur toute l'étendue du territoire égyptien. Certains très isolés, à la limite du désert ne sont pas facile à trouver. Ainsi celui-ci dont je tairai le nom pour ne pas attirer l'attention des satanistes. J'étais avec un ami égyptien, mon chauffeur depuis longtemps. Tandis que nous approchions, il me fit part de ses inquiétudes concernant la visite des lieux. Les Egyptiens musulmans s'entendent généralement bien avec les Chrétiens mais les moines leur foutent les chocottes car ils sont persuadés qu'ils pratiquent toujours la Magie des anciens jours. Le monastère en pierres rouges était de dimensions réduites et on avait l'impression qu'il était déserté. Pas de moines ni de fidèles, un silence de mort dans ce milieu désertique plutôt ingrat.


Une lourde porte défendait l'accès des lieux. Je frappai à plusieurs reprises avant qu'un moine tout de noir vêtu et coiffé d'un bonnet couvert de broderies rouges vienne nous ouvrir, l'air étonné de nous voir ici. On déboucha dans une cour carrée cernée par les bâtiments du monastère. Des tronçons de colonnes traînaient par terre, des fragments de bas-reliefs couverts d'images mutilées de divinités pharaoniques. Quelque chose d'étrange planait dans l'air.

Le portier avait disparu sans nous offrir un pot de bienvenue comme cela se pratique habituellement. Mon compagnon égyptien était de plus en plus inquiet. Il me conseilla de sortir de là au plus vite sans faire d'histoire, sans essayer de nouer des contacts plus chaleureux. Manifestement, nous n'étions pas les bienvenus, des affrits devaient être tapis dans les coins. Pas un souffle d'air dans cette cour, le ciel était blanc, il faisait une chaleur abrutissante, on était dans nos petits souliers, dévorés par la soif et la curiosité.

Bien sûr je n'écoutai pas ses conseils, je n'étais pas venu jusqu'ici pour faire chou blanc. Cette impression d'étrangeté et de mystère me plaisait beaucoup, me stimulait. Je voulais savoir ce qui se cachait en ces lieux insolites.

Je lui proposai d'aller m'attendre à l'extérieur dans sa Peugeot parfaitement entretenue. Il refusa. Quand on est amis, on reste ensemble même dans les situations les plus critiques. Tous les deux, nous avions déjà vu beaucoup d'autres choses sur les routes de la Kemet d'hier et d'aujourd'hui. Ce n'était pas quelques moines toujours invisibles qui allaient nous faire peur et nous faire détaler comme des lapins. Certainement que cette totale absence d'accueil relevait d'une stratégie destinée à nous éloigner. Les saints hommes du dieu unique ne cherchaient pas le contact, raison de plus pour insister et en avoir le cœur net au risque d'être déplaisants.


En parlant de Dieu unique il me revient que Champollion découvrit que les Coptes le désignaient sous le vocable de NTR, ce qui est tout de même fort proche du mot hiéroglyphique.


On s'installa sur un fût de colonne qui avait le mérite d'être à l'ombre d'un mur. Le silence régnait en maître, rien ne bougeait, ni oiseau, ni scorpion, pas même un scarabée ou une mouche.

Mon ami sortit pour aller quérir dans sa glacière toujours bien pourvue une boisson qui allait nous permettre d'échapper dans l'immédiat à une déshydratation totale. Il revint avec quatre canettes de bière que j'accueillis comme le Messie. J'en réservai une pour l'offrir à un moine qui pointerait son nez. Ces solitaires devaient bien boire de l'alcool puisqu'ils usaient de vin de messe. Un vin d'ailleurs très particulier. Pour contrarier les Coptes, les Musulmans dont on connaît la phobie de l'alcool leur interdirent d'en fabriquer, même à des fins liturgiques. Alors, pour contourner l'interdiction, les Chrétiens tirèrent leur vin de messe de raisins secs qu'ils importaient du Moyen Orient. Certes, ce breuvage a un goût bien particulier mais c'est tout de même le sang du Xrist. Nous l'avons déjà souligné, l'intelligence, c'est l'adaptation.


Je ne sais pourquoi, comme pour faire une libation, je versai par terre quelques gouttes de bière. En touchant le sol, elle se mit à bouillonner, à devenir rouge comme du sang. Cette vision me rappela le célèbre mythe de la Déesse Lointaine, une des filles que Râ envoya pour exterminer la race maudite des hommes. Il n'en restait plus que quelques-uns quand le dieu-soleil prit les humains en pitié et décida d'arrêter le massacre. Mais la lionne furieuse ne l'entendit pas de cette oreille et poursuivit son œuvre destructrice. Alors le dieu envoya Djéhouty qui a toujours une solution à proposer. Il offrit à la déesse quelques bonnes rasades de bière. Elle les lapa avec délectation et s'écroula en oubliant ce qu'elle avait à faire. Djéhouty la mit sur un bateau et on navigua en direction du Nord. Arrivé au niveau de la Première Cataracte, il jeta la lionne dans les eaux bouillonnantes. Elle redevint alors la splendide Hathor et l'humanité fut sauvée.


Nous étions là depuis deux bonnes heures quand une porte s'ouvrit et une dizaine de moines entreprirent de traverser la cour. Ils passèrent devant nous sans nous voir. Je notai alors qu'ils avaient l'air hagard, les yeux rouges, comme brûlés de l'intérieur.

De guerre lasse, nous vidâmes les lieux.

Revenu à Louxor, j'entrepris une enquête pour en savoir plus sur cet étrange monastère. Je découvris alors qu'il était bâti sur les ruines d'un ancien temple de la lionne Sekhmet, ce qui expliquait les pierres en grès brun, l'atmosphère inquiétante des lieux et les yeux rouges des pauvres moines qui n'avaient pas choisi la plus aimable des déesses pour implanter leur pieuse résidence.



Le moine à l'air aimable que vous voyez sur la photo en compagnie d'un drôle de paroissien ne réside pas dans le monastère de la lionne mais dans celui, plus paisible, de saint Antoine le Grand.

1 Comment


francoise.doux
francoise.doux
Jul 30, 2021

Lorsque les temps s'interpénètrent on ne sait plus très bien ni qui on est, ni quelle époque on traverse. Avec ou sans bière, Sekhmet nous emberlificote si on n'y prend garde. Oupouaout

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