Les serpents sont d'admirables bêtes paisibles et sensuelles, nées au plus creux du monde, dans l'endroit où doit se trouver l'essence des granits, des basaltes, des porphyres; ils sont vraiment d'une beauté et d'une grâce extraordinaires.
Giono, Jean le Bleu.
LE SERPENT ET LE ROI DE KEMET
Lors du Rituel de fondation du temple, le roi porte le titre de Charmeur de Serpents qu'il emprunte à l' Hor de Chedenou, Seigneur et Charmeur des serpents.
Une partie de ce rite se nomme Enfoncer le pieu dans la tête du serpent, ce qui revient à dompter les forces du chaos.
Le roi porte sur le front l'Oiseau et le Serpent, le volatile et le reptilien des antiques Mystères. En ésotérisme, ce serpent peut devenir le Dragon ou le Basilic dont l'haleine calcine les ennemis de la Lumière.
Notons que les oiseaux et les reptiles naissent d'un œuf.
Sa Majesté utilise ses replis pour descendre dans la terre et dans les mondes invisibles.
Protégé par ce Vieux Dieu le monarque, fils de la terre, ne peut subir aucune attaque magique, rien de nocif ne peut lui arriver.
C'est un serpent qui protège le palais royal dont il garde le seuil.
LE SERPENT ET LES DIEUX
Pour les Egyptiens, le serpent est l'archétype des animaux sacrés. Ils soulignent son étrange beauté et ses écailles radiantes. Les coloris et la brillance des écailles évoquent des trésors précieux.
Dans beaucoup de traditions, en Afrique, en Australie, en Amérique centrale, les serpents sont les Ancêtres divinisés protecteurs des vivants et garants de leur fécondité.
Un serpent qui est, en Egypte, la première créature tirée des eaux du Noun par TEM, ce qui en fait l'Ancêtre de tous les vivants de cette planète, le totem bienfaiteur d'un clan, protecteur et oraculaire.
TEM lui-même peut être représenté en serpent. Le KA de ce démiurge est un serpent. Il est dit qu'à la fin des temps, Tem détruira le monde et, sous la forme d'un serpent, plongera dans les eaux du Noun en s'identifiant à Osiris.
Une des hypostases de Tem est l'anguille, un super-serpent primordial nageant dans les eaux boueuses du Noun.
Un des aspects de Tem est un immense serpent de 1000 coudées nommé Snouh-her, la face lovée.
Le netjer protecteur des reptiles est TATENEM, un des plus antiques dieux chthoniens , que l'on vénère à Memphis sous le nom de Seigneur du Temps. Il symbolise l'émergence du tertre primordial au-dessus des eaux du Noun. Comme Ptah, c'est un dieu orfèvre présidant à la formation des minéraux et des richesses du sous-sol.
Plus généralement, il est associé aux divinités chthoniennes et aux forces de croissance de la végétation qu'il fait verdir.
C'est une serpente, Renénoutet, Maîtresse de la terre fertile qui est la déesse des céréales et des moissons. Son fils Népri est le dieu des grains de blé.
A Edfou, 4 serpents qualifiés de dieux ancestraux sont les protecteurs de l'Hor de Behedet, nom égyptien du temple d'Edfou . Ils constituent Le grand conseil du scarabée ailé, imposent son respect, obéissent à ses commandements et pourvoient à l'approvisionnement des tables d'offrandes.
LES SERPENTS DANS LE DOUBLE ROYAUME
Le mot égyptien pour serpent est HEFAOU.
Le cobra détermine le nom générique des serpents.
Le vocable qab désigne la queue et le corps des serpents mais aussi les méandres d'une rivière, le corps humain, les intestins et autres organes enroulés.
Il existe une quarantaine d'espèces de serpents en Egypte ancienne qui vivent dans les zones humides, dans la végétation, les fourrés de papyrus. Mystérieuses créatures, le plus souvent invisibles, à la fois proches des hommes et des dieux.
Dans l'écriture ptolémaïque, on trouve 200 hiéroglyphes de serpents.
Le Papyrus ophiologique de Brooklyn contient 36 notices dénombrant des espèces de serpents dangereux. Il précise leurs couleurs, leur nom, leur taille, leur comportement, le son qu'ils émettent et les symptômes provoqués par leur morsure.
Toutes les déesses peuvent être représentées sous la forme d'un serpent qui manifeste leurs potentialités magiques, dangereuses et leurs vertus protectrices.
Il est omniprésent dans l'iconographie des temples, des tombes et des papyrus.
Dans la tombe, le serpent maintient en cohésion l'ensemble des énergies vitales.
Chaque nome a un serpent dans son temple auquel on rend un culte et qui est le Gardien des lieux sacrés et de l'irrigation des canaux. Il porte le nom d'AHA.
Il entoure de son corps les tables d'offrandes pour les mettre à l'abri d'influences maléfiques.
La capitale Waset est protégée par un serpent sacré, Kématef, Celui qui accomplit son temps, par ailleurs qualifié de Père de Ptah.
Les mues des serpents sont le symbole de l'évolution lente mais sûre des êtres et des choses. Ses enveloppes périssables en font un être immortel qui relie les vivants et les morts.
LE SERPENT UN ANIMAL AMBIVALENT
Certains serpents sont considérés comme maléfiques et d'autres comme bénéfiques. Le problème est qu'ils sont porteurs d'un venin qui peut s'introduire en cas de morsure dans les canaux du corps, perturbant le fluide vital et pouvant conduire à une mort certaine. La morsure des serpents évoque celle du Soleil quand il détruit ses ennemis par le feu.
Lors de son initiation, le Mage doit se familiariser avec ce danger en se faisant piquer de manière contrôlée afin de se mithridatiser. Le Magicien Djedhor écrit : Je me suis approché de sorte que j'ai été mordu et je suis tombé malade. Or le venin sortira, il sera brûlé, je serai guéri.
Avec le crocodile et le lion, le serpent fait partie du trio des animaux les plus redoutables et porteurs d'un destin funeste qui frappe à l'improviste, souvent manipulé par les dieux pour châtier les impies et les profanateurs.
Le serpent protège les outils des tailleurs de pierre et éloigne ceux qui tentent de s'en emparer.
Pour les Egyptiens, le serpent peut parler et même s'exprimer dans un langage secret. Si des serpenteaux purifient avec leur langue vos oreilles, vous pouvez comprendre leur langue et acquérir le don de divination.
Il existe une amulette tête de serpent en cornaline du nom de Menkebyt porteuse de cette formule : Je suis là pour que tu ne sois pas mordu par le serpent dans l'Empire des morts.
Les textes de Dendera font des serpents des Agathodaïmons, génies divins qui défendent et protègent le temple d'Hathor.
Dans le Conte du Naufragé, un gigantesque serpent donne au marin de l'encens et toutes sortes de richesses en lui disant : Plus tard tu sauras rajeunir, vigoureux à l'intérieur de ton sarcophage.
LE SERPENT INITIATEUR
Dans les pratiques mystagogiques, il est l'Initiateur reptilien qui délivre les Mystes des pesanteurs de la terre et des lourdeurs du profane, ce qui explique qu'il est mis en relation avec l'Oiseau BA. A l'intérieur de son corps se produit le miracle de la régénérescence, un corps vecteur du Temps dans l'immensité de son extension.
Dans une des phases des rites initiatiques, on coupe la tête du serpent pour sortir de la matérialité et acquérir la clairvoyance spirituelle.
Les labyrinthes où le Myste doit se perdre et retrouver sa voie tandis qu'il est digéré, sont les replis du serpent ancêtre mystagogue.
Lorsqu'il sortait de cet enclos, on lui demandait : As-tu rencontré le serpent ?
Dans le Livre des Portes, on rencontre un serpent portant des têtes humaines et mis en relation avec la corde d'où naissent les étoiles. Il figure l'énergie mystérieuse nécessaire à l'émergence de la conscience spirituelle.
Depuis les temps plus anciens, le serpent est considéré comme une force primordiale de la création.
Dans la mythologie comme l’animal le plus rusé.
Permettez que je transcrive ici un passage du livre de M. Pierre Henri Salfati – sous-titré : Histoire d’un contresens :
La grandeur de l’herméneutique serpentine donne à l’herméneute l’emblème du serpent, celui qui fait passer le message, comme le venin du serpent ferait passer le message. Le poison non plus comme poison mais comme eau lustrale. Car à quoi bon un serpent, s’il ne mord pas et se contente d’être une menace ? Allusion ici .. à cette capacité de l’interprétation qualité primordiale de Joseph – celui qui explique les choses cachées.
Guy