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On ne touche pas aux scarabées

Les dieux n'aimaient pas Hemaka parce qu'il n'était pas aimable. Il tabassait son épouse, haïssait ses enfants, tyrannisait ceux qui travaillaient sous ses ordres. Il était si nocif qu'il faisait fuir les mouches, les scorpions et les bêtes de somme. Même les magiciens en avaient peur. Dès qu'il avait le dos tourné, on lui faisait un doigt d'honneur et on lui lançait des imprécations magiques qui auraient normalement terrassé deux ou trois Emissaires de Sekhmet.

On ne pouvait l'incarcérer car, du moins officiellement, il n'avait tué personne. Les bagarres, les bastonnades et ce qui se passe dans l'intimité des familles ne regardent pas la loi.

Auteur de nombreuses exactions, personne n'avait pu le coincer en fournissant des preuves. Les témoins éventuels étaient muets comme sarcophage. Comme les policiers, ils étaient morts de trouille à l'idée de témoigner contre un tel concentré de méchanceté, de malveillance, de haine.


De tels phénomènes n'existent pas seulement en Egypte. Depuis le début du XXIe siècle, ils se sont multipliés, occupent des charges officielles et des postes de commandement. On en trouve même dans les milieux médicaux et ecclésiastiques.

Le mal est-il une nécessité ou une fatalité ? Même un saint homme ne saurait répondre à cette question essentielle.


Il faillit se faire prendre lorsqu'il décapita la statue qu'un prêtre qu'il détestait avait offert au temple. Le bruit que fit la tête de pierre en se fracassant sur le sol attira un gardien qui passait par là. Hemaka lui conseilla de la fermer s'il ne voulait pas à son tour perdre la tête. Le jeune homme, qui venait de se marier et croyait encore aux promesses de la vie, détala comme un lièvre. En Egypte, les statues sont vivantes, les agresser est considéré comme un crime.


On aime qu'à la fin d'une histoire les méchants soient punis et les bons récompensés. Ce scénario trop lisse et banal ne satisfait pas les vicieux et les psychopathes qui sont légion. L'arrestation de l'assassin casse le suspense, même s'il a mangé ses compagnons de cellule après les avoir violentés.

Pour que le spectacle continue, il faut laisser courir les teigneux et prospérer le vice, comme le disait le divin marquis de Sade.


Comme tous les grands criminels, Hemaka n'éprouvait aucun remord, et ne voyait pas ce qu'on pouvait reprocher à un homme qui s'efforce de rompre la monotonie des jours heureux. Quoi de plus ennuyeux que l'existence d'un honnête citoyen ayant peur de son ombre ?


Son fils aîné, âgé de 16 ans, décida un matin de débarrasser sa famille et la planète de cette ordure. Avec quelques amis fidèles, il organisa une embuscade qui tourna court. Au dernier moment, les garçons n'eurent plus le courage d'affronter cette abomination sortie du troisième cercle de l'Enfer de Dante, un auteur florentin qui ne connaissait rien à l'Egypte mais jouissait d'une imagination débordante et pleine de fantaisie.



Toutes les bonnes choses ont une fin. Hemaka passa les limites du supportable. Un beau scarabée dodu et d'un noir luisant traversait la route devant lui. En le traitant de sale bestiole, il l'écrasa sous son talon, le réduisit en bouillie. En Egypte, on ne touche pas aux scarabées. Les dieux et surtout Khépri ne pouvaient tolérer une telle impiété. Ils lui coupèrent la tête et les génitoires. Neith lui tira une flèche dans le cœur. Ils le laissèrent périr dans d'horribles souffrances. Pire, il serait privé de sépulture et de rituel funéraire, son nom serait effacé de toutes les mémoires. Ne le prononcez jamais à voix haute.

1 Comment


francoise.doux
francoise.doux
Jul 30, 2021

quelle finesse d'observation et quelle subtile analogie que lier ainsi le jeune soleil montant à l'Orient avec la boule que ce petit insecte pousse inlassablement en reculant ! Oupouaout

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