Amenhotep Fils de Hapou : Vous ne pouvez pas imaginer à quel point vous êtes stupide, écervelé, si loin de l'enseignement de nos vieux maîtres qui furent les plus humbles des sages.
Obsédé par l'existence du bien et du mal, vous finirez par ne plus croire en la Maât. Elle n'est ni l'un ni l'autre mais la Norme assurant l'équilibre des contraires et la fin de la précarité. Il existe un Gardien de la Maât. Par prudence, il reste anonyme et change tous les jours de résidence. Il séjourne rarement au palais royal, préfère la cabane en roseaux d'un pêcheur de Haute Egypte. Peut-on survivre en échappant à la Norme ?
Je tentais d'expliquer à Houy pourquoi j'avais voulu être admis dans le temple quand il me posa cette question :
Pourquoi es-tu venu ?
Parce que je n'étais plus en état de vivre ailleurs ou plus exactement j'avais le désir d'exister autrement.
Alors, tu ne vas pas être déçu. Tu trouveras sur les tables d'offrandes tous les ingrédients pour faire de bons repas et devenir un ascète grassouillet.
Ne rien faire n'est pas perdre son temps.
Croire en dieu est confortable mais ne règle rien.
Si j'avais eu un lieu pour me retirer, j'aurais peut-être quitté le temple avant d'avoir appris à marcher au-dessus du sol, à sentir le parfum du netjer qui rend confiant et euphorique.
Ce n'est pas la réussite de la quête qui importe mais le temps qu'on lui a consacré. Au moins, pendant cette période, tu n'as pas pensé à des bêtises, les portes sont restées ouvertes, la décantation a suivi son cours.
Je trouvais parfois Houy exaspérant surtout quand il feignait de me prendre au sérieux avant de me tancer vertement. Il prétendait que j'étais faussement modeste et que je ne cessais d'être arrogant. Faute de mieux, je pouvais toujours rester dans un coin discret où personne ne viendrait me chercher des poux dans la perruque et troubler ma fragile sérénité.
Arrivé au bout du chemin, je me mis à pleurer. La Mort devait être tapie dans l'ombre ... Or, certains philosophes prétendent qu'elle est une voie sans issue alors qu'elle marque le début de l'aventure. On s'acharne parfois à venir a bout de la vie, à prendre son temps, ravi d'être perdu dans le labyrinthe hors des limites de ses capacités.
Je suis mortifié d'être un humain ordinaire, néanmoins je suis un cuisinier excellent, j'ai appris à bien doser les ingrédients, les épices, à arrêter la cuisson au bon moment. La cuisine est une des branches de la Magie. Mieux vaut une journée dans l'athanor qu'une vie dans un sanctuaire où est emprisonné un dieu trop volatil pour être digne de foi. Il est important de garder toutes ses dents le plus longtemps possible.
Je ne veux pas, je ne peux pas, je suis un incapable, je n'ai rien appris, je ne comprends rien à la subtilité des hiéroglyphes, je crois bêtement en dieu, je préfère un bon repas à une interminable séance de méditation.
C'est ainsi qu'Houy traçait le profil d'un imak ayant compris l'essentiel, c'est-à-dire pas grand chose d'autre que le plaisir d'être vivant en attendant celui d'être mort.
Houy ne donne pas de conseils, répond à côté de la plaque, fuit les individus trop compétents ou trop sérieux. Il aime faire la sieste avec son chat et séjourne plus longtemps dans le désert que dans le temple. Il redoute de s'ennuyer avec un netjer morose. Il se contente de poser des fleurs, du lait et du miel sur les tables d'offrandes.
Houy avait un ami tailleur de pierres et sculpteur qui perdait toujours ses outils. C'est sans importance, prétendait le Fils de Hapou, il récite des incantations magiques pour entrer dans le cœur de la pierre et la rendre fluide.
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