top of page

Mémoire vagabonde

Je suis seul dans l'immensité du téménos.

Reconnait- il les créatures qui le traversent ?

Peut-il s'habituer à ma présence ?

Ceux qui ont peur n'en sortiront pas vivants, les autres resteront stupéfaits.

Rien d'immobile ici, de légers murmures, des chants rituels qui s'éloignent ou se rapprochent.


Quand mon chat, âgé de douze ans, gagna le royaume céleste de Bastet, les Egyptiens de la XVIIIe dynastie le divinisèrent.

Je savais désormais que les images des félins peintes sur les murs des tombes sont chargées d'une formidable signification.



Je différais d'heure en heure mon départ en sirotant de la Stella glacée sur la terrasse de mon hôtel. A midi, la chaleur était incandescente et je n'eus plus le courage de sortir, d'affronter la lumière verticale d'un soleil mythique qui ne fait pas de concession.


Mon grand-père avait été très marqué par les années de famine connues dans sa jeunesse. Le roi et ses ministres corrompus étaient les responsables de ce désastre.

Quand revint l'abondance, au moment des moissons, il déposait la première gerbe coupée sur une table d'offrandes de la miséricordieuse Renenoutet.


Il fabriquait des rouleaux de papyrus sans aucune aspérité qui enchantaient les porteurs de calame. A la nuit tombée, il avait ses habitudes dans une taverne où l'on servait une bière finement brassée et un vin à la saveur intense. La qualité de la boisson a un étroit rapport avec la qualité de l'œuvre.


Lors de mon premier séjour à Louxor, je restai plusieurs jours sur la rive Est avant de prendre le bac pour m'aventurer dans la contrée des morts plus ou moins vénérables de l'Occident. Mes amis d'autrefois m'accueillirent en riant et nous passâmes la première journée à tourner en dérision les sphinx, les mythes, les histoires de guerre et de fureur, les voisins qui voyaient les étrangers d'un mauvais œil. Le second jour, commencèrent les choses sérieuses.


Sur des rognures de papyrus Hâpimen dessinait des scènes caricaturales où l'on découvrait des chats servant de nobles dames souris ou conduisant un troupeau d'oies grassouillettes. Il était connu pour apprécier l'inversion des valeurs et les amis à l'humour corrosif. On s'ennuyait ferme quand il négligeait de participer à l'un des ces banquets funéraires où l'on se paye la tête des défunts.


Quand le roi mourut assassiné, tous les courtisans s'attendirent à la fin du monde. Or ce ne fut que la fin d'un règne, les richesses continuèrent à être mal partagées, les offrandes dévorées par les prêtres etmon fils s'acharna à courir les filles au lieu de perfectionner la graphie de ses hiéroglyphes. Les grands bouleversements ont souvent de minuscules conséquences.


Kama était un réformateur. Il voulait supprimer les règles strictes, à la limite de l'absurde. Il n'avait pas compris que les sujets du roi d'Egypte ont horreur des changements et se contentent des petites imperfections du système.

Personne ne prit au sérieux ce doux rêveur d'une scrupuleuse honnêteté qui voulait secouer le palmier d'Isis sans violenter la déesse. Les desseins de Maât sont impénétrables, Kama mourut d'une apoplexie foudroyante. Aucun bouleversement ne pointait son nez à l'horizon.


On prétendait que Nebit avait tué son supérieur hiérarchique. Dans une société corsetée, c'est un crime impardonnable. Dans une société plus libérale, la chose est envisageable, surtout si le chef est incompétent, vicieux ou contrariant. Il faut toutefois agir discrètement et ne laisser aucune tache sur son pagne. Le rouge est une couleur qui attire l'attention quand ce n'est pas la teinte de la Pierre Philosophale.



Pout être tranquille, il faisait semblant d'être résigné. Il n'avait rien d'un maître arrogant dont l'exercice de l'autorité est la seule raison de vivre. Ainsi il conservait sa liberté sans en payer le prix. Les gens l'appréciaient car il aimait se moquer de lui-même et du dieu ayant présidé au jour de sa naissance.

Il était charpentier de marine, capable d'ajuster entre elles les pièces d'un navire mais il savait aussi travailler dans les champs pour récolter le lin, cueillir des grenades, maintenir la charrue dans le sillon alors qu'un météorite frappait le sol.

Il partageait le silence de la divine serpente Meretsegert. Personne ne s'aperçut qu'il était mort sans faire d'histoire une nuit de la saison peret. Dans ses derniers jours, il avait travaillé sur les espaces à ménager entre les signes afin d'éviter le déferlement du désordre.





Comments


bottom of page