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Le retrait du monde

Ecrire sans précipitation comme on pratique un rituel. Tenir entre ses doigts un stylet, une plume, un pinceau, un calame. Préparer avec soin les encres minérales. Nous sommes à des années-lumière des claviers et des écrans tactiles. On n'écrit pas en Egypte pour repousser le brouillard mais pour permettre à la lumière spirituelle de se fixer sur un papyrus parfaitement poli.

Les scribes osirifiés se retrouvaient dans cet endroit de la Douat où sont conservés des rouleaux de papyrus contenant des poèmes d'amour, des traités d'arboriculture, des notes sur les lectures provoquant la stupeur, des répertoires de signes rares, des discours sur les bienfaits du silence et du vide, des recettes pour fabriquer la poudre de projection.

Pendant une courte période, ces écrits furent placés à l'intérieur de la Pyramide Rouge de Snefrou à Dashour. Ce roi aux dispositions singulières mena à bien une catabase.

Snefrou, aujourd'hui privé de forme humaine, est une des étoiles les plus vives de la Constellation de la Carène.





Ce ne sont pas des conjectures mais des faits bien réels, rapportés par le scribe royal Amenhotep Fils de Hapou qui, sa vie durant, refusa de donner des définitions qui chassent les énigmes. Je n'ai fait que faire revivre le nom de mes ancêtres, écrit-il.

En Egypte, les scribes sont bien conscients qu'ils occupent un emploi prestigieux, tels les mandarins de la Chine impériale. Rien n'est plus noble que l'écriture et la connaissance des hiéroglyphes ou divins signes. Ecrire c'est savoir, connaître, apercevoir, transmettre et même surveiller.

Est scribe - sech - celui qui écrit. Le scribe des contours est un dessinateur ou peintre, la scribe est une maquilleuse.

On trouve des scribes au palais royal, dans les chancelleries, l'administration, les temples, les Maisons de vie, l'armée, les ateliers des sculpteurs et des peintres. Certains travaillent dans des officines où l'on rédige les livres funéraires comme le célèbre Livre des Morts dont le titre exact est Chapitres de la sortie à la lumière. Ils rédigent également les inscriptions sur les amulettes, les statues, les shaouabtis et les objets comme les miroirs, les sistres, les encensoirs.





La position des scribes, assis, les jambes croisées est une image bien connue de l'iconographie égyptienne. Cette position particulière en triangle permet une concentration maximale des forces telluriques et magnétiques. Les Indiens parlent de la maîtrise de l'énergie pranique qui tourne en circuit fermé dans le corps et l'esprit du scribe et ne s'évade que par l'extrémité des mains occupées à écrire.





Voici le matériel d'écriture d'un scribe, un hiéroglyphe qui sert aussi à écrire son nom : à gauche, une petite palette rectangulaire avec deux cavités circulaires, l'une pour l'encre noire, l'autre pour la rouge qui sert à indiquer le début d'une phrase. Un cordon y est attaché qui sert au scribe à la passer dans la ceinture de son pagne quand il se déplace. Au centre, un petit pot rond contenant de l'eau et de la gomme d'acacia pour diluer les encres. A droite enfin, un étui à calames avec un bouchon en forme de lotus. Il contient en général 7 calames qui sont des joncs mâchonnés faisant office de pinceau. Les calames, RW, concrétisent la connaissance écrite.

Cette palette, instrument de la sacralité de l'écriture est dédiée à Djéhouty-Thot et à Maât. Tous les scribes sont émules de Thot et serviteurs de l'Ordre de Maât.


Il me restait des mots à saisir mais pour cela je devais trouver le bon rythme, ne pas effaroucher les hiéroglyphes-oiseaux, ne pas déplacer les lignes trop vite, ne pas bousculer la sédimentation. Certains signes naviguent dans la clandestinité, porteurs d'une mémoire qui ne nous est plus accessible.

Absence définitive ou provisoire, encre au bout du calame, je devais écrire avec mon sang. La nuit, les divins signes n'ont pas la même saveur. Ils puisent leur énergie dans un temps suspendu que ne perturbent pas les éclipses lunaires. Ils permettent aux temples de résister à la témérité des fauteurs de trouble, à l'entropie.

Les hiéroglyphes pour réussir le retrait du monde.



1 commentaire


guy.udriot
20 juin 2021

Les mots emprisonnent, souvent, les sens. Mais nous pourrions les considérer comme des touches de pinceau sur la toile discursive de nos connaissances. Ils deviennent, dès lors, l'expression de symboles constituant un vitrail, au travers duquel l'Histoire de nos civilisations se révèle.

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