A la fin du rituel, je sors à reculons pour ne pas tourner le dos à la divinité et vérifier qu'elle ne me suit pas.
Ne pas tenir à la Maât des propos extravagants et laisser autour d'elle suffisamment d'espace pour qu'elle ne souffre pas de nos imperfections.
Bebon, Aapep et Seth ne sont pas des divinités toxiques. Elles nous permettent de laisser des choses inachevées, ce qui n'est pas pour déplaire aux Démiurges n'aimant pas l'idée que tout ce qui est trop parfait est condamné à disparaître.
Pendant la première partie du rituel, j'utilise le nom usuel du dieu. Dans la seconde, je me sers uniquement de son REN secret pour maintenir à distance les profanateurs et laisser aux fruits le temps de mûrir.
Les dieux ne nous obligent pas à nous conformer à leurs injonctions, ils préfèrent que nous ralentissions le rythme des rituels afin de ne pas perturber le réseau vibratoire du temple, de ses cryptes et des bosquets sacrés où poussent les arbres d'Hathor, d'Aset et de Ptah -Kheribakef.
Repu de sacré, j'ai oublié l'existence de certains netjerou qui, cependant, continuent à œuvrer dans mon ventre, mes poumons, mes ongles, mes cheveux et ma volonté bien prétentieuse de ne rien oublier.
Quand je sors du naos, les douleurs de mon corps et mes inquiétudes se sont évanouies. Vient alors le temps de l'ivresse et le désir de ne rien faire comme avant, de me retirer dans le désert.
Le premier netjer que j'ai vu m'a laissé perplexe. Il boitait, louchait, portait une perruque démodée, des bijoux de pacotille, des habits de cérémonie élimés. Il ne payait pas de mine mais je l'ai adoré car il me ressemblait comme un frère.
Ce dieu à l'audience réduite cherchait à remonter le cours de l'Histoire et à gagner de nouveaux adorateurs. Il vivait tranquille dans la crypte oubliée d'un temple de Haute Egypte. Ainsi, personne ne le contrariait et il n'avait pas à consommer des offrandes à la date de péremption depuis longtemps dépassée. Un KA recyclé de l'époque prédynastique le maintenait beau et en parfait état.
Toutes mes tentatives d'approche avaient échoué. Il disait que j'étais insignifiant et que je sentais mauvais. Je ne sais comment il découvrit un jour que j'étais son enfant et me para alors de toutes les vertus. Tout le monde n'a pas le privilège d'être le fils d'une divinité sourcilleuse sur les liens de parenté.
Mon chat prétendait qu'il était le noble descendant d'une déesse du Delta qui avait commencé une carrière de lionne avant de devenir une chatte. Cela l'autorisait à être très exigeant envers moi et à le servir avec dévotion, empressement en ayant conscience d'être le prêtre d'une divinité redoutable ne plaisantant pas sur la qualité du service.
La plupart des dieux préfèrent l'obscurité. Cela les autorise à se déplacer en toute discrétion, à dialoguer avec les créatures nocturnes qui habitent dans le temple, à profiter de la fraîcheur de la nuit, à échapper à des sectateurs crampons qui, pendant les 12 heures de la nuit roupillent au lieu d'observer la course des étoiles.
Je suis beau, en bonne santé et pas trop bête. Comme je n'ai pas envie d'attirer la jalousie des Génies mineurs quand je me rends dans un temple, je porte un pagne taché et déchiré et je me plains de ma misérable existence. Jusqu'à présent ma stratégie a bien fonctionné mais je redoute d'être un jour démasqué et renvoyé à la case départ.
Je savais que THOT appréciait les silencieux. Ne pas s'épuiser à parler, disait-il. Tout ce que vous dites sera retenu contre vous. La langue est un organe maléfique sauf si elle s'exprime dans celle des Oiseaux pour ne prononcer que des incantations magiques.
Je supputais qu'une déesse résidait dans cette montagne qu'aucun sentier ne traversait. Elle n'occupait pas toute la place mais résidait dans les failles et dans les rochers qui s'étaient détachés de la falaise. Elle m'a appris à ne pas croire aux incantations maléfiques proférées par des sorciers de bas étage qui se gardent bien d'approcher de la montagne.
J'ai accepté de prêter mon corps à certains dieux pour qu'ils puissent se déplacer en toute discrétion dans le monde profane. J'espère qu'un jour ils me rendront la pareille pour que je puisse naviguer dans le monde divin sans être brûlé par l'ardeur du Disque solaire.
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