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LE SERVITEUR DE MAÂT

Les autres sont intéressants parce qu'ils sont différents. Je n'aime pas trop les gens qui me ressemblent. Sétib était vizir et voyait défiler dans son tribunal des hommes et des femmes en désaccord ou en conflit avec le monde. A un moment les digues avaient lâché et ils refusaient de se conformer à la norme, de se plier à des lois qui ne les concernaient en rien.




Le Vizir, Serviteur de Maât, peut-il accepter que la transgression d'une loi soit pardonnable quand elle est devenue obsolète ? Sétib avait rencontré des assassins débonnaires, des voleurs sympathiques, des paysans matois et pleins d'humour, des soldats pleurnichards et des mères de famille qui détestaient leur mari et leurs gniards.

Un maître d'œuvre qui avait dérobé du matériel sur un chantier lui demanda de quel droit il le jugeait. Dans sa belle robe amidonnée avait-il respiré la poussière, affronté le bruit et l'épuisement pour édifier un temple que, sans doute, il ne verrait jamais achevé ?




Or, la question est bien là : Est-il juste de porter un jugement sur un contrevenant dont on ignore tout de l'existence ? Il a une autre échelle de valeur. Il lui est permis ou interdit d'entrer dans le temple. Il ne connaît pas le nom du roi. Il n'a jamais quitté son nome ou il a voyagé au-delà de la 4e cataracte. Il a mal aux dents ou une perruque dans la main. Il préfère Seth à Osiris. Il est plus sensible à la beauté des déesses qu'à leurs pouvoirs magiques. Il tient le Vizir pour un nanti peu sensible à la misère des pauvres gens.




La vérité est pleine de trous et de contradictions, se disait souvent Sétib. Il n'avait plus envie de discourir sur les raisons de l'existence du mal.

Chaque matin, le roi offre Maât aux forces qui régissent l'univers sans pour autant en garantir la cohérence. Maât n'élimine pas le mal, elle le repousse derrière une frontière qu'il est toujours prêt à franchir. Ce serait trop simple d'enfermer Maât dans un naos pour la protéger de la violence et du mensonge.

Avant chaque séance du tribunal, Sétib disait : Maât est sur ma langue, dans mes yeux et dans mon cœur.


Tout le monde avait oublié Maât quand un archéologue déterra à Deir-el-Medina un ostracon portant le nom et l'image de la déesse. Dans l'Antiquité, ce village des ouvriers portait le nom de La Place de Maât. Vestige de l'indicible bénéficence qui tient un moment encore à distance le désordre et la fureur de l'Histoire.

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