Des formes voilées veillent sur notre royaume. Elles sont d'humeur changeantes, se dissimulent dans les lumières changeantes de l'aube ou du crépuscule, témoignent de l'existence d'un ailleurs invisible. Kemet en équilibre entre les plans a besoin de ces gardiennes imprévisibles. Les embaumeurs ne cherchent pas à les piéger entre les bandelettes mais leur donnent à respirer les parfums, les huiles, les onguents, les baumes dont ils usent pour rendre aux corps morts la souplesse du vivant, la douceur d'une statue en fin de polissage.
J'ai eu très tôt l'intuition que l'Egypte, surgie de nulle part, était le lieu où l'on pouvait briser les règles sans pour autant se mettre en danger. Tout est concentré à l'extrême et se maintient en équilibre avant que ne se déclenchent les séismes salutaires aux ailes déployées. Sur les sites abandonnés se pose une question : Qui sera le dernier à mourir, l'ultime autochtone poussé du haut de la falaise, le guerrier sans armes, le fantôme en transit tapi dans le désert ?
Ni ténébreux ni malfaisants, les Mages savaient déplacer par la pensée d'énormes blocs de pierre en quête de leur lieu d'origine. Ils prétendaient que des Loups noirs pouvaient les faire voler d'un bord à l'autre du royaume. Les Loups sont les maîtres des calmes trompeurs, des tensions susceptibles de se dénouer dans les minutes qui suivent, des pulsations encore sourdes d'une lumière en gestation ou en déclin.
Ce n'étaient pas les dieux qui passionnaient les Kémitiens mais ceux qui étaient arrivés avant eux sur les rives du fleuve. Leurs formes fauves et envoûtantes avaient partout laissé des traces. Les architectes du roi les avaient serties dans les temples.
J'ai pris la bonne décision le jour où j'ai décidé de m'installer au centre exact d'une Kemet à la fois amoureuse et mentale, dangereuse et affectueuse, présageant le retour des anciennes merveilles.
Plus tard dans la nuit, j'ai ressenti la profondeur de sa présence. Etait venu le temps des repérages, des décryptages. Dans la nécropole de Khemenou, Thot s'apprêtait à renforcer les ombres. Ses serviteurs avaient ouvert les portes du labyrinthe. Des milliers de cynocéphales momifiés sortirent du plus long sommeil de l'histoire.
L'art du décryptage repose sur des rencontres inattendues, sur la multiplication des hasards, la valorisation des incrustations minérales, le respect des proportions l'apprentissage des règles de navigation entre les bancs de sable, le rejet des savoirs inutiles tout en portant grande attention à la pièce manquante.
Quand il se décida à me parler, le dieu monumental et ténébrant vint avec moi avant que le soleil se lève et que les étoiles ne s'éteignent. Il me dit : Il n'y a pas de coupure entre toi et moi mais un champ ouvert où foisonnent les énigmes.
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