Le résident d'un autre pays

Il savait depuis longtemps que l'Egypte était en lui. Un murmure ininterrompu, bien plus fort qu'une réminiscence, plus intense qu'un arsenal de sensations et de souvenirs.

Je me demandais si je devais quitter le temple, renoncer aux avantages de la Fraternité, ne plus vivre dans l'intensité, la complicité, la radiance du AKH de Kemet.

Pour mieux entrer dans le vif du sujet, je me suis entraîné à devenir invisible. Les dieux sont invisibles, pourquoi leurs créatures ne le seraient-elles pas ! Dans la cité d'Akhet-aton tout est encore en suspens.

En le quittant devant l'aéroport de Louxor j'eus un mauvais présentiment. Etait-il inéluctable qu'il y ait une dernière fois ?

Kemet n'est pas une planète que l'on quitte pour n'y plus revenir. Ceux qui sont partis pour toujours n'étaient pas les meilleurs d'entre nous. De mauvais prêtres, de médiocres guerriers, de mauvais ouvriers n'osant plus entrer dans une carrière de schiste ou d'albâtre. Pourquoi ignorer ce qui est enfoui, en attente, en phase de gestation ?

Chaque fois que je revenais j'avais le sentiment de faire et refaire un pèlerinage aux sources d'un fleuve considéré comme un dieu bienveillant.

Depuis toutes ces années j'ai pris le temps de visiter de plus en plus lentement les bosquets sacrés, les alentours des sanctuaires, les rives où l'eau du Nil lèche les ruines.

Un matin, alors que je tartinais une Vache qui rit sur un toast un peu trop grillé, je redoutai que les autorités du Double royaume ne renouvellent pas mon permis de séjour. Un résident temporaire n'est jamais à l'abri d'une mesure vexatoire. Les scribes avaient noté sur leurs rouleaux mes moindres faits et gestes. Un faux pas, je serais expulsé comme si j'avais multiplié les transgressions, les crimes de lèse-majesté, les négligences.

Quand j'obtins enfin la nationalité égyptienne, j'adhérai sans tarder à une société secrète nommée les Emissaires de l'Ibis dont la principale activité était de ramer à contre-courant.