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Le prince dans le désert oriental

Houy avait conseillé à Imy de trouver l'endroit qui lui conviendrait le mieux à ce moment de son histoire où tout était encore possible. Le désert où jusqu'alors il avait fait de brèves incursions lui parut le lieu idéal. Il préféra le désert montagneux de l'Est, la poussière ocre, les falaises brûlées, l'apparente immobilité du monde minéral, les visions fugitives, le vent et les tempêtes intérieures.


Le jeune prince aimait les formes fantasmagoriques qui se laissent voir dans le désert quand l'esprit est en alerte. Houy lui avait précisé qu'il ne devait rien attendre de précis et ne pas prier pour qu'un miracle se produise. Conseil malvenu pour Amenhotep qui, justement, espérait un miracle, se sentait prêt aux rencontres les plus inattendues.

Tu ne croiseras la route de personne de plus étrange que toi, lui avait encore dit Houy. Les premiers jours, tu auras l'impression de te désagréger, de ne plus appartenir à l'organisation hiérarchique de l'univers. Tu seras submergé dans un temps suspendu où le moindre craquement provoquera une rupture de la continuité. Ne t'aventure pas dans une sombre méditation sur la solitude. Les jours fastes, tu rencontreras un oiseau ou un serpent. Les jours néfastes, tu bougeras le moins possible. Dans le désert, les petits mammifères sont inoffensifs mais ils attirent les reptiles qui savent jouer avec les frayeurs anciennes. Le désert s'efforcera patiemment de faire sortir ce qui se cache en toi, dans ta tête, ton cœur, tes entrailles où loge le netjer Héka. Il te ramènera à ta forme première, non corrompue par les désirs et l'entropie, par les agissements de tes Ancêtres, par le magnétisme puissant de ton royaume. Le désert est d'une extrême précision, il ne laisse rien au hasard. A part le sable, tout bouge très lentement, surtout les filons d'or à l'intérieur de la minière Cette lenteur était à la limite d'indisposer le prince. Il voulait de brusques changements, des révolutions spontanées pourtant peu en phase avec la théocratie pharaonique. Le Fils de Hapou prônait la lenteur parce qu'il était âgé. Les vieillards progressent le plus lentement possible vers la mort.

Imy n'avait pas le temps d'attendre que les limites bougent. Il ne savait pas que certaines fleurs du désert ne s'ouvrent que dans l'obscurité, à l'abri du regard des félins. Alors, un roi peut fonder une ville en plein désert, y édifier des temples à ciel ouvert pour des divinités à la fois obscures et lumineuses. Tout irait tellement mieux si chaque humain était libre de créer son propre dieu, surtout pas à son image mais ne ressemblant en rien à ce qui existe sur cette planète. Un dieu qui ne se manifesterait que durant les quelques secondes où surgit la lumière au-dessus de l'Horizon Akhet, sec, blanc, pur, éphémère mais porteur d'une des formes les plus élaborées de la perfection, d'une éternité n'existant pas encore.


Dans le grand temple d'Akhet-Aton, le roi se souvient de ces jours et de ces nuits passés dans le désert oriental. Il donnerait tout pour retrouver Houy pendant quelques minutes. Il aimerait redevenir un enfant déposant des fleurs et des fruits sur les tables d'offrandes. Maintenant, il n'est plus pressé, il sait qu'il s'est trompé de royaume.

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