Il était descendu des montagnes de l'Est, hagard, squelettique, donnant l'impression qu'il n'avait plus que quelques heures à vivre. Il ne parlait pas. Les gens du village prirent soin de lui car il était dans la main de dieu. Impossible de dire s'il était Egyptien, Mitanien ou s'il venait de la mer ou d'une étendue désertique aux confins du monde connu des Kémitiens.
Métheti, notre médecin le soigna, le nourrit de lait, de miel, de fruits et lui parla tous les jours même s'il n'obtenait jamais de réponse. Il lui conseillait de se réconcilier avec le monde, ne ne plus considérer les hommes comme des prédateurs. Lui, il était ailleurs, il flottait entre deux mondes. Pendant des heures, il regardait les paysans travailler dans les champs ou les femmes en train de cuisiner dans la cour de leur maison. Métheti prétendait qu'il était en train de se réhabituer à vivre et qu'il finirait bien par sortir de son mutisme. On saurait alors qui il était et comment il était arrivé chez nous. Pour l'instant, il était encore dans les montagnes, traqué par les bêtes fantastiques du désert. Nous devions le rassurer, ne pas faire de bruit autour de lui, lui montrer de l'intérêt et de l'affection.
Les enfants du village l'avaient adopté sans problème. Ils se sentaient beaucoup plus près de lui que des autres adultes de la communauté. Ensemble, ils arpentaient les champs et les jardins, observaient les oiseaux, se baignaient dans le fleuve. Ils lui narraient les aventures des dieux qui vivent dans l'eau ou dans les hauteurs du ciel comme Sobek ou Taoueret. Ils lui contaient des histoires auxquelles ils ajoutaient un chapitre chaque jour. Pour eux, notre homme devenait tour à tour un prospecteur, un baliseur du désert, un déserteur, un passeur, un espion, un fou aimé des dieux, le seul rescapé d'un naufrage sur la Mer Rouge. Le fils de Métheti, qui avait lu un grand nombre de papyrus, émit l'hypothèse qu'il s'agissait du dernier Pountite encore vivant. Tous le considéraient alors avec une dévotion mêlée de crainte car il avait survécu au plus grand cataclysme de l'Histoire.
Parfois, il s'asseyait au sommet d'une dune, attendait que le soleil chasse les ténèbres ou que la constellation du Scorpion monte le soir à l'assaut du ciel. Ainsi gagnait-il un petit surcroît d'existence sans avoir menacé l'équilibre de l'univers.
Des forces fragiles serpentent sous la croûte terrestre ou dans les profondeurs du ciel.
Assis près de lui, Métheti observait les itinéraires stratégiques des poissons ou des libellules. Il sentait alors une présence derrière lui. On reconnait un dieu ou un homme à son odeur. Un soir enfin, l'étrange visiteur serra ses mains dans les siennes et déclara : Ils m'ont rendu ma liberté, grâce à toi et aux tiens je suis guéri. Je vais reprendre ma route et tenter de traverser le Grand Désert qui finit pas se perdre dans l'océan.
Avant que Méheti ne revienne de son étonnement, il avait déjà disparu, était trop loin pour être encore visible. Il pensa à un rêve furtif puis retourna dans le village où un charpentier venait de se couper un doigt avec une herminette. En le soignant, il lui raconta ce qui venait de se produire. L'artisan fit ce seul commentaire : Je pense qu'il n'a pas l'intention de revenir, mais sait-on jamais ?
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