Certaines questions peuvent changer votre existence, me susurra le Maître des énigmes qui restait à l'abri des regards dans l'enceinte du temple de Mout, la furieuse parèdre d'Imn à Karnak.
Je travaillais à ce moment-là sur un vieux rouleau retrouvé dans la partie la plus archaïque de la nécropole royale de Dashour.
La noire et rouge Kemet était verte autrefois, précisait ce document. Elle était hantée par des sylves et des Esprits attachés aux bouviers et aux nécromanciens. La vallée fut envahie par la bourrache rouge, le thym, le saxifrage et des vipères noires dont le venin servait à concocter des amalgames aux vertus innombrables. On pouvait également y croiser des créatures incertaines attendant au tournant les voyageurs imprudents qu'on nommera plus tard les touristes, à l'esprit peu éclairé mais à la chair savoureuse.
Un matin, le Maître des énigmes me tint un discours sur la nocivité des ennemis intérieurs, surtout ceux dont on peine à détecter la présence et qui se manifestent lors du déclin des empires.
L'erreur est de croire que les statues sont mortes et ne partagent pas notre quotidien. Elles savent ce qui se cache derrière l'univers manifesté et comment on peut franchir sans dommage les frontières de la mort.
Il poursuivit : Quand tu seras aux prises avec elle, ne montre pas que tu as peur, entonne des incantations réservées aux divinités du hasard, des contingences et des synchronicités.
J'ai remarqué que dans les téménos les statues se déplacent selon des stratégies inédites. Les Sphinx perturbent les dromos, les colonnes tournent sur elles-mêmes, les prêtres s'égarent lors des rituels. Certains arrivent à revenir, d'autres sont perdus à jamais.
Certaines nuits, ces propos qui n'étaient pas des explications jetaient le trouble dans mon esprit. En voici quelques exemples :
Kemet n'est pas une planète possédant plusieurs soleils.
Les statues-cubes ne connaissent nul tourment existentiel.
S'ils sont insolents, les Mystes deviennent des daïmons inconséquents.
Des manifestations hybrides de la réalité nagent dans les eaux intermédiaires des lacs sacrés.
Pour en revenir aux rituels, ceux qui aboutissent sont rares car les dieux profitent de la moindre erreur pour les neutraliser.
Tu dois chercher l'emplacement de ta tombe creusée dans le désert avant qu'il ne devienne ocre.
On ne place pas des corps dans les sarcophages mais des résidus de ce qu'aurait pu être la vie.
Je compte sur toi pour rester silencieux. Je ne te poserai pas de questions que tu serais incapable de comprendre, à plus forte raison d'y répondre.
Assis dans la salle hypostyle, plongé dans la pénombre, je me suis mis à pleurer.
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