Le jeu des priorités

Aabaouf, petit égyptien courageux, se demandait où il irait après la mort.

C'est une expérience indicible, lui affirma un ami qui avait fait de longues études dans la prestigieuse Per Ankh de Memphis. C'est une opération d'alchimie, lui dit d'un ton cauteleux un prêtre d'Inpou.

Ousir murmura : Je n'ai rien compris, j'étais sur un trône, je me suis retrouvé dans un coffre.

Le Fils de Hapou lui conseilla de bien se couvrir la tête, de ne pas se retourner ,de porter des bijoux d'électrum et un pectoral en lapis lazuli, la pierre qui donne un sommeil paisible et des rêves d'éternité.

Je ne voudrais pas mourir pour rien, s'écria Aabaouf. La mort n'est jamais inutile, elle déblaie le terrain, fait le vide, plane au-dessus des ruines, des champs de blé, des alignements de Sphinx le long des dromos.

Aabaouf, tu vas franchir une passe, tu auras vaguement conscience que les plans se sont déplacés et qu'il n'est plus question de traîner la patte.

On ne demande pas à un muet de prononcer un éloge funèbre. Une fois mort, celui qui a le vertige peut marcher au bord d'un précipice. Selon Sekhmet, rien n'est plus facile que de trépasser, il suffit d'une seconde d'inattention, d'une chiquenaude, d'un mot qui reste en travers de la gorge.

Mourir est à la fois simple et compliqué, cependant les implications sont nombreuses. C'est tout un monde d'existences à reconsidérer. On ne vit pas dans une tombe comme dans la hutte d'un pêcheur.

Aabaouf aimerait une tombe tranquille, vaste, sèche, lumineuse, bien aérée, creusée dans une falaise au-dessus de la Vallée. Cependant, il s'estime trop jeune pour envisager l'aménagement d'une demeure d'éternité, d'autant qu'il n'a même pas fini de construire sa chaumière.

Le lendemain, il se rendit sur le chantier de sa future demeure. Une poutre mal arrimée se détacha du toit et vint lui fracasser le crâne. Il eut à peine le temps de penser qu'il n'avait pas fait les choses dans le bon ordre. Pour un Egyptien bien organisé et pragmatique, la tombe reste prioritaire.