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Le hiéroglyphe de l'étoile




Difficile d'imaginer un élève plus allergique à toutes les formes de savoirs. S'il n'avait pas été le fils d'un scribe du Trésor Royal, il n'aurait jamais mis les pieds et encore moins la main dans une Per Ankh. Là, il n'était pas en pays de connaissance, s'ennuyait à mourir et rêvait d'être un oiseau migrateur.


Il reprochait à ses instructeurs de mal maîtriser la langue qu'ils enseignaient. Ils restaient en surface, dissimulaient mal leur ignorance qui aurait pu être hermétique si elle n'avait pas été amphigourique. C'est en s'y opposant qu'il avait fini par être happé par les divins signes et leur thématique arcanique. Les oiseaux se mirent à voler, les loups se rapprochèrent des villages, les scarabées se faufilèrent entre les lignes, des signes négligés ressurgirent des Archives de Pount.


Cette langue à la mystérieuse consistance n'avait plus guère de rapports avec le pataquès qu'on avait essayé d'inculquer à Iny et qui le mettait mal à l'aise.

Les premiers textes avaient été écrits par des scribes qui ne croyaient pas en dieu mais en la toute puissance d'une langue venue d'ailleurs. Les prémices étaient données à la fin, on ne tirait jamais de conclusions définitives, on avait pris soin d'éliminer toutes les références. Cependant de multiples croisements favorisaient les rencontres, les remises en question, la destruction des évidences.


Un érudit, qui passait à tort ou à raison pour un maître de la langue des signes, avait dit à Iny : Je vais t'apprendre à ne pas recevoir un enseignement mais à te fier à ton instinct de prospecteur, à rendre obscur ce qui, à défaut d'être trop clair est d'un accès trompeur. Je ne te divulguerai rien d'autre que ce que tu es capable de comprendre.


Iny se fichait de ces propos car il n'attendait rien de personne et surtout pas d'un vieux scribe qui prétendait s'y connaître en écriture rétrograde mais dont l'image n'apparaissait pas dans les miroirs. Pour sortir de cette impasse, il s'installa dans une période de flottement qui fit remonter des profondeurs des souvenirs d'essence mercurielle.


Il réussit à rendre souples et nerveux des hiéroglyphes peints dans la tombe d'un prêtre ayant vécu sous le règne du roi Djoser. Une tombe de l'Ancien Empire est un scriptorium idéal pour ciseler les idéogrammes avec un minimum d'erreurs. La qualité de la calligraphie dépend aussi du lien entre l'esprit et la main tenant le calame. Pour fabriquer les siens, Iny allait tailler les roseaux qui croissaient dans les marécages du Delta où ne flottait pas le cadavre d'un dieu. Un artiste fabrique lui-même ses outils.


C'est dans un marais proche de Saïs qu'Iny rencontra la divine Seshet qui donna une forme aux hiéroglyphes Il fallut l'apprivoiser car elle était d'un naturel farouche. Au bout de quelques jours, elle se mit à parler : La forme des signes n'est pas définitive, ils risquent de mourir s'ils cessent de se transformer. Ils font fi du temps et des contingences qui affaiblissent une langue figée.



Au cours des années qui suivirent, Iny perfectionna sans cesse le hiéroglyphe de l'étoile, la clef d'une langue tombée du ciel, toujours en gestation dans les eaux tièdes du Noun.

Au cours des siècles, Iny se réincarna de nombreuses fois. Quand il revint à Figeac, fils d'un colporteur de livres, la langue des pharaons fut sauvée de l'oubli.

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