C'est difficile à croire mais elle a oublié de revenir à la maison. Son mari n'a rien compris, ses enfants l'attendent encore. Dans son quartier, on pense qu'elle a été assassinée par de vils Bédouins. Elle ne passait pas pour une dévote mais de temps à autre elle offrait au temple des fleurs, du pain et des fruits.
Sa sœur accusa son époux d'être le meurtrier. Sa mort ne pouvait pas être prouvée tant que le corps ne serait pas retrouvé. Il est vrai qu'il existe des disparitions mystérieuses qui ne sont jamais résolues.
Elle avait dit à une voisine que sa vie ne tenait qu'à un fil et que le Double Royaume était fragile.
Un mois plut tôt, elle avait consulté un thérapeute de Khonsou connu pour la précision de ses diagnostics. Il l'avait examinée avant de lui signifier qu'elle se portait comme un charme, qu'elle enterrerait toute sa famille.
Une question subsiste : pourquoi avait-elle éprouvé le besoin de rencontrer ce médecin ? Certes, il n'était pas déplaisant de passer un moment avec ce bel homme dans l'intimité d'une chapelle fraîche et plongée dans la pénombre !
Au printemps, elle aimait sentir les rayons du soleil glisser sur sa nuque et ses épaules. La nuit, elle prenait des bains de lune.
Son frère, aujourd'hui scribe au service d'un nomarque du Delta, lui avait appris à lire et à écrire les divins signes mais personne dans sa famille ne le savait. On retrouva dans ses affaires un coffret où elle conservait les rouleaux qu'elle étudiait et des commentaires sur des écrits énigmatiques, en particulier la manière de dialoguer avec les statues ou avec les morts. Les jours de vent de sable, elle enveloppait le coffret d'un tissu de lin.
Dans l'hypothèse où elle aurait choisi de disparaître, on comprend mal comment une mère pouvait aussi brusquement abandonner ses enfants. C'est peut-être une idée reçue de croire que les femmes aiment leurs petits plus que tout. Certaines n'hésitent pas à les perdre dans la forêt. En Egypte, pas de forêt mais on peut s'en débarrasser dans le désert ou dans une palmeraie grouillante de cobras.
Son sens de l'orientation était plutôt défaillant. Sa mère lui avait offert une amulette du loup Oupouaout qui ramène les égarés sur le bon chemin. Quelques jours avant sa disparition, elle prétendit qu'elle ne trouvait plus cette amulette à laquelle elle tenait tant. Un oiseau de mauvais augure aurait vu là un mauvais présage. Cinq décades plus tard, son plus jeune fils trouva l'amulette brisée dans le jardin.
Elle a disparu le 5e jour épagomène, le jour le plus inquiétant de l'année, quand les lionnes divines affamées sont en maraude.
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