Son allure était des plus banale mais il avait un regard de félin. Si on ne croisait pas son regard, on ne se doutait de rien. Il parlait avec une voix dangereusement douce, se déplaçait sans faire de bruit, ne cherchait jamais à attirer l'attention.
Ce type de personnalité me donnait envie de dire des bêtises ou même d'en faire, par simple provocation.
Nuredin travaillait au Service des Antiquités qui, comme on le suppose, est un véritable nœud de cobras cracheurs de feu. Il dirigeait une petite équipe fort à l'aise sur un chantier de fouilles mais dénuée de scrupules. Des amulettes, des bijoux, des perles en lapis lazuli, des statuettes disparaissaient comme par enchantement dès qu'ils sortaient de terre. Les ouvriers accusaient les affrits, les affrits accusaient Nuredin car rien ne pouvait échapper à sa vigilance.
Pour ne mettre personne dans l'embarras, je ne vous dirai pas à quelle époque se passe cette histoire mais elle n'est pas si lointaine. Certains des protagonistes sont morts mais d'autres continuent à prospérer.
La statue était dans une fosse rectangulaire recouverte de sable et de limon poudreux. Intacte, elle avait échappé au temps et aux profanateurs. Elle avait la troublante perfection des œuvres du début du règne de Sethi Premier. Une masse de quartzite en apesanteur. La peau de panthère qui recouvrait sa robe de lin permettait de l'identifier comme une reine ou une prêtresse de Seshet, la polarité féminine de Thot. Curieusement, aucune inscription n'était gravée ou peinte sur elle. Son identité exacte resterait une énigme, ce qui la rendait encore plus fascinante.
Quand la nuit tomba sur le chantier, l'atmosphère devint encore plus étrange.
Debout au-dessus de la fosse, Nuredin avait envie de descendre près de la prêtresse et de se lover contre elle jusqu'à l'aube. Il aurait aimé s'isoler avec elle dans une chapelle et échanger des propos ésotériques qui auraient guéri ses carences spirituelles. Il était certain que sa beauté, sa pureté lui conféreraient des pouvoirs prodigieux. D'anciens soleils s'accumulaient autour de la statue, un serpent glissa dans la fosse, une vague lueur verte flottait sur les ruines.
Avant de s'éloigner, Nuredin dépêcha quatre ouvriers pour garder la statue. Ils essayèrent de prendre un air farouche que démentait leur bouille d'adolescents terrifiés à l'idée de rester là jusqu'au matin.
Dès l'aube, Nuredin se rendit sur les lieux de la découverte et se mit à hurler quand il constata que la fosse était vide.
-Qui a volé la statue ?
Un des garçons répondit : personne Maître, elle s'est levée, est sortie de la fosse puis s'est mise à marcher en direction des montagnes de l'Ouest sans s'arrêter.
- Et vous n'avez rien fait ?
- Nous étions terrorisés. Qui oserait porter la main sur une prêtresse de Seshet ?
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