Je me suis retiré de la vie officielle après la mort du roi Thotmès. J'avais pensé m'établir dans le Delta mais les mornes étendues plates du Royaume du Nord me déprimaient. J'avais besoin des montagnes qui structurent le désert oriental et donnent envie non pas de fuir mais de marcher, de passer outre, de faire corps avec la ligne de fuite. Choix entre odeur de vase et parfum minéral. Des mondes qui ne peuvent se confondre, qui ne se complètent pas, du blanc et du rouge pour que le noir puisse émerger.
Le roi Thotmès guettait les événements les plus imprévisibles. Il redoutait d'être pris par surprise, happé par un ennemi silencieux à la figure aimable, parfumé et souriant, amateur de la chair des enfants royaux courant à perdre haleine dans les palais labyrinthiques d'un royaume se dédoublant dans des miroirs d'électrum.
Thotmès aimait le nom du dieu qui habitait dans son cartouche de naissance, même s'il savait combien il pouvait être dangereux, glissant, installé au-dessus du vide.
Le souverain savait aussi que le vie se retirerait de lui sans qu'il s'en aperçoive tandis que son netjer éponyme continuerait à vaquer sur les rives du fleuve, escorté par une armée de scribes impertinents, peu concernés par les petites contrariétés de l'existence.
Le jour où il laissa son royaume s'engloutir dans le Noun, un scarabée entra dans la chambre de Sa Majesté. Il voleta partout, se cogna contre les murs et finit par tomber au sol sur le dos. Pour se redresser et repartir il aurait fallu qu'il respire quelque chose de plus ancien. Il s'épuisa, cessa de remuer ses pattes et ses ailes au moment où le roi entra dans la Maison des coléoptères.
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