C'était un homme discret, secret, qui agissait dans les coulisses du palais. Il n'apparaissait pas dans la salle d'audience ou les jours où l'on célébrait les fastes de la théocratie. Comme il aimait les rites, il officiait dans les temples à l'heure où ils sont déserts ou fréquentés par des pontifes dont personne ne connaît le visage.
Les religions officielles sont des façades reléguées au rang de vieilleries par les sociétés mystagogiques quand elles réussissent à avoir une influence sur l'événementiel. Avec quelques compagnons, il avait démonté les rouages délicats de la démarche spirituelle en tenant compte de THOT, le Maître des Arcanes capable de vous conduire dans une impasse ou au 7e ciel.
Il rencontrait Sa Majesté, contrairement aux scribes de la Chancellerie qui ne le voyaient que de loin et ne lui adressaient jamais la parole. Quels propos échangeait-il avec le roi, quelles informations ? Parlaient-ils des courants souterrains qui maintiennent la cohérence de Kemet ?
Qu'on me comprenne bien, notre homme n'était pas une éminence de l'ombre, à moins que ce mot se rapporte au Khaïbit. Le Khaïbit, Ombre bienfaisante, état mettant à l'abri des turbulences, loin des lumières factices de l'ignorance et de la méchanceté.
Les fraudes les plus criantes ne s'opèrent pas sur le Trésor royal mais sur les mots de tous les jours employés à contre-sens, ce qui instaure un chaos linguistique finissant par contaminer la pensée. Il conseilla au monarque de créer un bureau des étymologies afin de redonner aux mots leur sens véritable. Il se nommait le Bureau des Racines. On remontait jusqu'aux origines de la langue hiéroglyphique que le Pountite Djéhouty ramena dans ses coffres lors de la Grande Migration.
Une attention particulière fut portée à la langue des rituels où les mots sont choisis avec soin, ce qui n'empêche pas de les retravailler quand les effets de l'entropie se font sentir, quand le profane investit le sacré et finit par lui tordre le cou.
Il créa 9 Ateliers basés sur la notion d'altérité et de permanentes remises en question des maîtres à penser. Les Enfants de Seshet et de Thot ne sont pas assujettis à la bien-pensance, à la pensée commune, aux règles arbitraires, aux dogmes qui corrompent la liberté spirituelle et recommandent la soumission.
En dépit de sa discrétion, il avait fini par être repéré par certains hommes puissants qui devinrent vite des ennemis irréductibles. Ils étaient bien décidés à éliminer ce trouble fête qui menaçait de saper les structures de leur pouvoir. Il ne demanda pas l'aide du roi et se réfugia dans la clandestinité et le silence qui seuls garantissent la liberté spirituelle.
Un homme comme celui-ci par génération et Kemet serait sauvée de la médiocrité.
Ce texte n'a d'autres but que de prôner la nécessité de l'occultation après la manifestation.
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