Ses manières délicates lui permettaient de jouer sur tous les registres de la séduction. Venait-il du monde d'avant quand la beauté et la grâce n'étaient pas choses suspectes. Pourquoi aime-t-on certaines personnes alors qu'on en déteste d'autres ? Pourquoi préfère-t-on la rêverie à la méditation, les chats aux serpents, la mélancolie à la tristesse ?
On devient ce qu'on ne cherche pas à devenir, les dieux n'y sont pour rien, la hauteur atteinte par les eaux de la crue dépend de circonstances multiples, toutes plus fragiles les unes que les autres.
Il n'avait pas fréquenté une des prestigieuses Per Ankh du royaume. Son mentor avait été un vieil original de son village, à la fois scribe, mage, guérisseur et sans doute un peu sorcier qui savait bousculer l'ordre en douceur et maintenir à distance les curieux.
Il savait mettre entre parenthèses les préoccupations prosaïques pour se concentrer sur ce qui valait la peine d'être pensé puis vécu puis oublié en se laissant glisser dans une douce somnolence.
Ses parents et tous les membres de sa famille étaient des gens tellement insignifiants qu'on finissait par oublier qu'ils étaient toujours vivants. Cette fratrie atone n'avait pas menacé ses velléités de vivre en marge des idées reçues, de ne pas marcher sur des sentiers menant à des nécropoles envahies par des sépultures rongées de mauvais salpêtre.
Le sublime parvient à se cacher sous les désastres. Il en avait fait plusieurs fois l'expérience grâce aux enseignements en apparence disparates de son maître. Le mot maître lui répugnait car qui dit maître dit esclave. Séduction et soumission sont parfois trop bien enchevêtrées. Dans une langue aussi riche que la nôtre, les mots peuvent se permettre toutes les dérives. Plus de féminin, de masculin, de neutre, plus de clair et d'obscur mais des humains dépolarisés, débarrassés des antagonismes essentiels.
Il avait compris que le monde ne s'adapte pas à vous et même qu'il n'est pas fait pour votre petite personne. Ce n'était pas une raison pour foncer tête baissée dans le décor. Mieux valait perfectionner les stratégies de contournement, les ruses du chasseur sur la piste d'un gibier plus intelligent que lui. Le hic reste de repérer le moment précis où il faudra prendre l'initiative de l'attaque.
Jamais une terre ne fut aussi belle et aussi riche que Kemet. Elle a séduit tous ceux qui ont voulu s'en emparer. Elle a rejeté toutes les vermines qui ont voulu l'asservir. Elle agit en douceur, sans faire de bruit, en laissant croire que ses secrets ont été trahis, que les profanateurs ont eu accès à toutes les parties du temple alors qu'ils n'ont rien vu de sa dérangeante splendeur.
Je me suis rendu compte du danger qu'il y avait à vouloir prouver l'existence du Mystère. On le préserve en laissant croire qu'il est insignifiant, soporifique et prétentieux. Or le Mystère séduit parce qu'il est impertinent, rebelle, parce qu'il détourne les codes du vulgaire. Il nous sidère quand il circule dans des vases communicants où les fluides finissent par trouver leur voie.
A Dendera, le temple le plus séduisant de Kemet, le Mystère s'affiche à la hauteur des yeux.
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