Je ne pouvais pas accepter que les ombres se dissipent, que l'on relègue Seth dans un angle mort.
Le souverain de Kemet règne sur un peuple de paysans qui se vautrent dans le limon et le chant des oiseaux migrateurs. Dans leurs champs sont plantées des pierres-idoles qui repoussent les rats, les serpents, les protègent de la fureur des hippopotames. Ils aiment à la folie un dieu-enfant, Népri, présent dans chaque grain de blé. Sa chair est savoureuse, il dort à l'intérieur des greniers. Il marche dans la campagne, un doigt sur la bouche, les pieds dans les canaux d'irrigation. Couché sous un arbre, je m'endors en pensant à lui et je l'invite à partager mes rêves.
Une bêche sur la tête, une paysanne avance avec l'allure d'une déesse. Isis est revenue.
A moitié immergé, un crocodile reste immobile. Il redoute les colères d'Aset.
Isis, qui séjourne volontiers dans les arbres, est la mère du petit peuple des campagnes. Elle ne rétrécit jamais l'espace.
Il y a le fleuve, la bande noire et verte des cultures et, au loin, les montagnes désertiques qui tremblent dans les brumes de chaleur.
Le temps n'est immobile qu'en apparence. En Egypte, il progresse en douceur, sans faire de vagues. Les paysans n'ont pas le loisir de penser au temps. Dès les premières lueurs de l'aube, ils soignent leurs légumes.
A cette même heure, le roi offre aux dieux trois roseaux déployés, le hiéroglyphe de la campagne.
Le soir, les paysans rentrent des champs en jetant un dernier regard affectueux sur la luzerne et sur les vignes.
Le royaume des pharaons est un immense jardin où l'on engrange des richesses inouïes. Le soir, on mange sur la terrasse des maisons dans les bruissements d'ailes d'oiseaux réels ou mythiques. La constellation du Scorpion monte dans le ciel. Les cobras n'oublient pas qu'ils sont les rejetons d'une déesse soleil qui a placé le feu dans leur venin.
La nuit, je cherchais des noms et des formules. On imagine des mots nouveaux pour évoquer des choses anciennes, à la fois familières et terriblement différentes qui ne sont pas des fantasmes ou des visions mais des ressouvenances palpables, visuelles, olfactives.
Vivre libre dans le royaume double, en état HETEP, entre le vide et le plein, dans la quiétude, la félicité, dans une exubérance à recréer chaque jour.
Le hiéroglyphe hetep, qui signifie satisfait, est un pain posé sur une table d'offrandes, la puissance qui nourrit la vie. Ce qui est vivant vit sa vie dans le tout.
Rien ne laisse présager l'arrivée prochaine de la Mort que les Kémitiens imaginent fardée et parfumée. Les Chinois enterrent leurs morts au milieu des champs, les Egyptiens les confient au sable dans lequel ils mettent des siècles à se minéraliser. Ils finissent en poussière, emportés par les vents de sable.
La réponse n'est pas donnée par la vie mais par la Mort. Réponse oblique des Oracles dont il faut bien se satisfaire.
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