Après une longue préparation et des épreuves à faire dresser les cheveux sur la tête, je fus enfin admis aux Mystères sacrés d'un dieu dont je ne connaissais pas encore le vrai nom.
Ceci devait altérer définitivement ma vision du monde et la nature de mes relations avec tout ce qui mérite une explication sensible. Nous vivons dans l'approximation et nous nous en contentons jusqu'au jour où nous prenons conscience de notre fatuité en marchant par mégarde sur un serpent qu'un mauvais sort a placé sur notre route.
J'étais contrarié car je n'aime pas me lever le matin. Or je devais me trouver une heure avant le lever du soleil devant une porte dérobée à l'Est du sanctuaire.
Un joli petit âne broutait des plantes épineuses poussant le long du mur d'enceinte. Comment imaginer que cette paisible bestiole pouvait être une des formes de Seth ?
Quelques jours auparavant, j'avais rencontré un homme engagé dans une démarche similaire. Il me révéla en grand secret que derrière la porte on était dévoré afin d'être libéré de ses multiplicités. Je restai sans voix. Je devais avoir l'air particulièrement ahuri car il éclata de rire. Tu en verras d'autres, poursuivit-il. On te passera une plume par le bec, tu devras avaler des vipères cérastes et tourner autour d'une lionne furieuse. A la moindre défaillance, tu en prendras plein la gueule.
En repensant à ces précisions, mon imagination s'emballa et je priai un dieu inconnu pour que cette porte ne s'ouvre pas. Je me voyais dans mon lit douillet, confortable et indifférent aux Mystères du cosmos. Le quotidien paraît plein de charme lorsqu'on se trouve en bordure d'un monde inconnu s'ouvrant sur un précipice.
Une chose m'échappait : comment quelqu'un d'aussi rationnel que moi, méfiant envers les dieux, ne croyant pas à l'invisible, avait-il pu se laisser entraîner dans cette aventure ?
L'âne se mit à braire avec force, quelque chose bougeait derrière la porte, la rosée coulait dans mes cheveux.
Comment pouvais-je accepter que le Mystère fasse irruption dans mon existence et perturbe toutes mes bases de données ?
Sueurs froides. Je tournai les talons et m'éloignai le plus vite possible.
Quelques années passèrent. J'avais oublié cet épisode peu glorieux de mon laborieux cheminement spirituel jusqu'au jour où, par hasard, je tombai sur ce passage d'Hermès Trismégiste : Ceux qui ont connu les Mystères et ceux qui ont refusé de les approcher ne connaîtront pas dans l'Au-Delà une destinée semblable.
En refusant de passer cette porte, j'avais fait la bourde de ma vie ou plutôt de mon après-vie qui menaçait d'être beaucoup plus longue. J'allais être relégué dans un quartier sordide de la Douat en compagnie de petites divinités teigneuses. Pour l'éternité, j'aurais très mal aux jambes.
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