- Vous avez la chance d'être Kémitien.
- Oui, un privilège plutôt qu'une chance.
- Quel rôle jouez-vous dans cette histoire ?
- Une histoire sans fin qui se lève tous les matins avec le soleil. Je suis un chasseur de démons.
- Non, il y aurait des démons en Egypte ?
- Moins qu'ailleurs mais nous en avons de très coriaces, de très comme il faut en matière de perversité.
- Seraient-ils les épigones de la sœur de Maât, une certaine...
- Arrêtez, ne prononcez pas un nom qui porte la poisse.
- Vous êtes superstitieux ?
- Un peu mais surtout il y a des concepts philosophiques que je ne supporte pas.
- Comme celui de la persistance du mal absolu ?
- Que peut bien être le mal absolu ?
- Par exemple sortir de chez soi et se faire écraser par la camionnette du blanchisseur.
- Je ne comprends rien à ce que vous dites.
- Oui, parce que sous le règne d' Amenhotep III vous n'avez jamais vu de camionnette. Disons plutôt sortir de chez soi et recevoir sur la tête le bloc mal ajusté d'un temple en construction.
- Cela n'a rien à voir avec le mal mais avec le hasard ou autre chose.
- Sans le hasard, la vie serait plus terne.
- Oui mais on risque d'être oublié dans un angle mort, loin de la tombe élégante d'une nécropole prestigieuse.
- Les Egyptiens sont obsédés par les nécropoles.
- Non, par le confort et le souci d'être un défunt qui sente bon. Les parfums sont l'arme absolue contre le mal. La béatitude est totale si on reçoit en prime une paire d'ailes de milane.
- Les Kémitiens me surprendront toujours.
- Il y a certaines tombes qu'il vaut mieux ne pas ouvrir à Meir, à Gébélein, à Nagada ou dans la cité des morts au Caire.
Il s'éloigna et je me retrouvai dans une Kemet que je ne connaissais pas, qui flottait entre deux mondes, tournait à l'envers, se moquait des traducteurs qui triturent les hiéroglyphes en restant persuadés que J.F. Champollion a balayé toutes les énigmes attachées à la langue des Mages.
J. F.C. est un imposteur de génie mais il reste le fils bien aimé de Djéhouty dont les images somnolent dans la tiédeur du British Museum.
Tout va bien, il ne reste plus qu'à attendre.
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