Le monarque flirtait plus ou moins avec l'une des plus belles dames de la cour qui avait refusé d'entrer dans son harem. Il ne comprenait rien aux femmes et ignorait qu'il était moche comme un pou vu de profil. Il se consolait en chassant le lion dans le désert et les jeunes pastourelles dans les champs d'épeautre sous les palmiers. Une mauvaise rencontre avec un animal fantastique le rendit podagre et impuissant.
Ce Shemsou était dru comme la bête. Il avait été mortellement blessé dans une bataille mais s'était arrangé pour revenir à la vie et se rendre intéressant. Shaï, le dieu du destin, l'avait à la bonne mais Ammit la Dévoreuse l'attendait au tournant. Comme il sortait sans cesse des sentiers battus, il était difficile de le piéger, de l'acculer dans une impasse et de lui faire prendre Djéhouty pour un débile mental. Comme lui, il détestait les règnes qui se décomposent.
Sans rien comprendre, il avait réussi à sortir des dédales de la Douat. Il errait tout nu dans une nécropole baignée par une lumière inconnue en Egypte. Il se demandait si une Douat pouvait en cacher une autre.
Un Oracle consulté peu de temps avant son trépas lui avait révélé qu'il allait bientôt se trouver dans une situation embarrassante et qu'il ferait mieux de se déguiser en oiseau nocturne.
Il avait lu de nombreux rouleaux policiers et avait compris que pour s'en sortir il fallait agir avec un certain détachement.
Dans la Douat, il valait mieux ne pas avoir la vue basse et le nez dans les pâquerettes. Pour autant, aucune paire de lunettes n'a été retrouvée dans une tombe égyptienne.
Fin du XXIe siècle. Il aimait l'Egypte, les Sphinx et ces curieux monuments pointus que les Grecs nommèrent pyramides. Il préférait Memphis à Las Vegas et les films avec des acteurs Egyptiens marchant de profil, pieds nus sur le sable brûlant.
En dînant dans un restaurant du Vieux Caire, il découvrit l'existence de la mouloureya qui, chez nous, fit un tabac sous le nom de corette avant de disparaître de nos assiettes. Ses feuilles gluantes accompagnent très bien un lapin rôti agrémenté d'un vin rosé du Delta et de quelques cigarettes Cléopatra que l'on fume en pensant à la cuisine du temps d'Amenhotpe III. Ce roi était un fin gourmet qui mourut d'une septicémie dentaire.
Je n'ai aucune certitude. Je ne dirai rien sur les Egyptiens qui pourrait être retenu contre moi. J'ai été séduit mais pas encore abandonné. Mon chat adore jouer avec mes calames. Il chasse les souris qui pullulent dans les tombes et rongent les momies qui ont échappé aux monstres hybrides de la Douat pour tomber sous les crocs de ces petits mammifères enclins à dépeupler les nécropoles.
Quand je révélai à mon matou que les Kémitiens vénéraient les chats à l'égal des dieux, il ne se sentit plus pisser et exigea que je fasse de même si je voulais être sauvé et échapper à la morosité de l'existence.
Dans ma tombe, je ne suis plus troublé par les bruits du dehors. J'ai, de temps en temps, la visite d'un scolopendre ou d'un insecte thanatophile. J'attends avec jubilation la nuit où je
pourrai m'embarquer pour la Douat.
J'ai une bonne mémoire et me souviens parfaitement des instructions données par le Livre de la Sortie à la Lumière.
Je connais le nom des portes et des Gardiens mais je suis inquiet car j'ai négligé de me munir d'une de ces amulettes permettant d'avoir une bonne vision dans l'obscurité et assurant que la mort n'est pas une fin.
De l'autre côté, les vivants ont oublié jusqu'à mon nom.
Je n'ai laissé aucune trace.
Je suis seul, je suis bien.
J'adore me baigner dans les eaux tièdes du Noun.
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