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Cartographie mémorielle

Un Cairote pur jus me donna sa recette pour réussir la confiture de dattes. Je lui avais pourtant avoué que je n'avais pas de palmier dattier dans mon jardin. Palmier, arbre d'Aset secouant sa chevelure dans le vent en apprenant la mort de son chéri.



L'administration égyptienne vend de vastes étendues de désert à des étrangers décidés à les fertiliser. Pour cela, ils doivent importer d'énormes machines agricoles. J'ai rencontré à Tôd une Flamande qui, ayant acquis des hectares de sable et de cailloux, fit venir d'Europe trois de ces coûteuses machines. On l'avait assuré qu'elle ne payerait pas de lourdes taxes d'importation à l'arrivée dans le port d'Alexandrie. Promesse fallacieuse : on lui réclama des taxes équivalant au double du prix des gros engins. Elle abandonna l'affaire. Le désert de Tôd ne verdira pas.


J'ai rencontré un jour un jeune Français déambulant dans le temple de Karnak avec une canne blanche. Il avait gagné une bourse pour faire en solitaire le tour du monde. Je lui demandai ce qu'il pensait des sites qu'il traversait. Rien me répondit-il, je sens seulement que c'est immense et pas tout à fait mort. As-tu pensé à poser tes mains sur les hiéroglyphes, à caresser les colonnes, à appuyer ta joue sur celle des statues ? Je recroisai sa route quelques jours plus tard à Aswan. J'ai suivi ton conseil dit-il, je sais maintenant ce qui fait la beauté de l'Egypte pharaonique.


Un guide d'un âge respectable traine derrière lui un groupe de joyeux Français. A l'entrée du temple de Medinet Habou, le mieux conservé de la rive ouest, il déclare : Regardez bien, il ne reste rien, les Français ont tout emporté ! Personne ne fit la moindre remarque.


Un autre guide, jeune celui-ci, exerce pour des Italiens ses talents d'orateur dans la tombe de Ramsès IX, dans la Vallée des Rois. Mais, devant tant d'énigmatiques images, il reste médusé. Il finit par balbutier : C'est le Livre des Morts - ce qui est faux - C'est plein de fantaisie et d'imagination. Tous remontent à la surface. La visite a duré cinq minutes.


Nous visitions une tombe récemment découverte à Gourna sous la houlette d'un Inspecteur des Antiquités de la rive ouest. Soudain surgit un jeune homme en pleurs qui travaillait dans une tombe voisine fouillée par des archéologues allemands. C'est trop dur, dit-il entre deux sanglots, je ne comprends pas ce qu'ils veulent, je n'arrive pas à suivre. La façon de voir le monde et d'envisager des fouilles des Egyptiens et des Teutons sont à des années-lumière et ne coïncideront jamais. Notre Inspecteur serra entre ses bras son jeune collègue et le consola en lui promettant de le faire muter bientôt sur un chantier conduit par des Italiens ou des Français.


A cette époque, j'organisais en été des périples en Egypte d'Alexandrie à Abou-Simbel. Les véhicules n'étaient pas climatisés, les chambres d'hôtels rarement. Une fois en Moyenne Egypte, je ne pus m'empêcher de conduire mes ouailles sur le site d'Amarna où rien encore ne sortait des sables. La chaleur était à son comble. Un grincheux déclara : Qu'est-ce qu'on est venu faire ici, il n'y a rien à voir et sans doute rien à boire. D'un air sentencieux, je répliquai : C'est justement ce rien qui fait tout le charme des lieux !


Cette guide d'une autre époque n'avait pas quitté son appartement cairote depuis des lustres. Je ne sais pas pourquoi l'agence avait fait appel à elle. Sans doute qu'un manque de personnel la fit sortir de son placard. J'allai la chercher en taxi. En chemin, nous passâmes sur une place au centre de laquelle trônait une statue à l'esthétique stalinienne. Qui est-ce demanda -t-elle ? Simon Bolivar lui dis-je. Mon dieu, qui c'est celui-là ? Avant, il y avait ici une statue du roi Farouk.

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