Ô toi, l'au-delà de tout, n'est-ce pas là tout ce qu'on peut dire de Toi ?
Grégoire de Nazianze.
La queue du chat est bien venue sans qu'on la tire, répètent les gens affligés d'un certain bon sens. J'exècre ce genre d'affirmation car elle exalte un certain fatalisme et l'acceptation béate de toutes nos contrariétés, sans parler de nos malheurs.
Ces longs silences m'avaient rendu fourbu, j'avais enseveli ces souvenirs qui me mettaient un fil à la patte.
Je préfère une série d'épisodes non datés où l'on ne peut s'accrocher à aucune bribe d'éternité.
Nous mourons parce que nous sommes entre deux dates. Je voudrais être une pépite d'or cachée sous une terre couleur de rouille, un Osiris ne souhaitant pas se redresser, une montagne dans le désert courbant l'échine sous un furieux vent de sable.
Djéhouty aime outrepasser les interdits qui ne font pas crever de rire. Un papyrus rongé aux mites, un hiéroglyphe bancal peuvent avoir le charme des caresses trop fortes d'un dieu à la main lourde.
Ce dieu destructeur de certitudes prend volontiers des airs de sainte nitouche pour mieux nous enfoncer un manche à balai dans le fondement. J'ai remarqué que ses thuriféraires avaient souvent un air constipé, compassé, en voie de fossilisation.
J'aime Thot quand il ne cherche pas à nous piéger mais nous conduit à faire des extrapolations, des sauts dans l'inconnu. Les uns disent que c'est le plus grand des netjerou, d'autres qu'il n'existe pas, d'autres encore qu'il fait semblant de ne pas exister. Ils ont tous tort parce qu'ils ont tous raison, affirmait un des fils de ce dieu, seulement visible sous la lumière cendrée de la lune.
Une nuit où, de manière exceptionnelle, la constellation de la Carène voyageait dans le ciel de Kemet, je l'ai surpris tournicotant dans les parages du temple de Khonsou à Karnak. Ce n'était pas sous le règne d'un Sénouseret ou d'un Thotmès mais hier, avant que ne se referment les portes de Kemet.
Comme je n'avais jamais rencontré un dieu d'Egypte, j'étais ému aux larmes mais aussi dans mes petites sandales. J'en avais le souffle coupé.
Etait-ce bien Djéhouty dont on parle à mots couverts ou un effet de mon imaginaire ?
J'avais moultes questions à lui poser mais je n'arrivais pas à les mettre en ordre, encore moins à les formuler.
Soudain, je sentis qu'il était derrière moi et qu'il me disait :
Ecoute bien petit gros; finis les coups tordus, les délires mystiques, le culte officiel des pontifes, le règne des puissances salvatrices. Je t'enseignerai une théodynamique d'un tel degré d'abstraction que tu ne pourras pas ne pas la comprendre et la mettre en application. Il y a quelque chose au-delà de tout.
Je connaissais pourtant bien ces mythes, tel celui d'Orphée, qui recommande de ne pas se retourner dans ce type de situation. Je fis cette erreur sans en mesurer les conséquences. J'eus à peine le temps d'apercevoir un chat roux et noir disparaître, la queue levée, derrière la statue d'un babouin.
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