Sur chaque site de Haute et Basse Egypte existe un Gardien. Je ne vous parle pas d'un de ces fonctionnaire en galabeya pour faire couleur locale mais d'un Gardien installé là depuis la première fois où le temple a été abandonné pour devenir une carrière de pierre, de sebak puis une décharge et enfin un site archéologique.
Il est discret, se confond avec les pierres mais aucun directeur de fouilles ne se lance dans une nouvelle campagne de travaux sans le consulter. Il sait à quel moment une statue doit être sortie de terre, une inscription ramenée à la lumière, une stèle déplacée et une famille de renards amenée en douceur vers un autre terrier.
L'énergie des ruines est puissante et ne s'épuise pas. Au contraire, elle se renforce de siècle en siècle. Elle sera encore là jusqu'à ce que la dernière pierre tombe en poussière. Si un accident survient et rend incontrôlable cette énergie, le Gardien intervient et remet en ordre ce qui n'aurait pas dû être dérangé. L'équilibre reste fragile. Le Gardien connaît les incantations qui repoussent la violence des interventions inopinées.
D'antiques entités sont pétrifiées dans une attente silencieuse. Le Gardien les rassure et leur affirme que les temps reviendront où les déesses de Kemet battront à nouveau des ailes.
Pardonne-moi, Gardien, si je n'ai pas ressenti le Mystère en traversant ces champs de ruines. Il ne faut pas les investir mais se fondre en eux, leur prêter allégeance, leur témoigner de la tendresse et marcher très doucement pour ne pas réveiller les ondes nocives tapies dans les profondeurs.
Le Gardien sait qu'on reconnaît un Egyptien à son parfum. Il suit à la trace les fumées odorantes qui le mènent chaque fois un peu plus loin vers un objectif dont les contours sont impossibles à définir. Quelques secondes et le parfum s'estompe, quelques pas de plus et le temple se met à frémir, quelques siècles et le cœur des corps embaumés se remet à battre. En Egypte, quand on dit cœur on parle de la mémoire qui est en toute chose.
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